La campagne américaine de 2016 a été marquée par l’avènement des Fake news, ou infox (fausses nouvelles, en français). L’expression « Fake News » existe depuis le début des années 90 aux États-Unis, mais a été remise au goût du jour par Donald Trump, alors candidat républicain aux présidentielles américaines. La popularité de l’expression a atteint son apogée en 2017, lorsque les lexicographes du dictionnaire britannique Collins ont décidé de l’élire mot de l’année[1]. Cependant, le mot infox se vide peu à peu de son sens. À l’origine, il désignait des informations fallacieuses propagées dans les médias. Aujourd’hui, il est devenu un outil de décrédibilisation des journalistes et des supports d’informations. Cette instrumentalisation du mot Fake News a poussé les chercheurs et les organisations de surveillance des médias à lui préférer le terme désinformation.
Qu’est-ce que la désinformation ?
La désinformation est une information biaisée qui induit délibérément en erreur les lecteurs par la manipulation de faits ou de récits. L’information fallacieuse est créée et propagée dans l’intention de nuire. Désinformer cherche souvent à influencer l’opinion publique dans l’intention de causer un préjudice à la population.
Photo: https://www.real411.org/
Désinformation, intérêt public et liberté d’expression
La désinformation cherche à porter atteinte à la société en interférant dans les décisions individuelles des citoyens ou en portant atteinte à leur droit de prendre des décisions éclairées sur des questions d’importance publique. Cette interférence affecte la participation citoyenne et empêche les citoyens de contribuer pleinement et activement à la société. Elle nuit donc à l’intérêt public.
L’information fallacieuse prend souvent la forme d’une information véridique en utilisant la même présentation et les mêmes termes que les sources fiables. Elle est souvent accompagnée de photos ou de citations pour étayer le propos. Cette apparence d’indépendance éditoriale est représentative de la capacité à nuire de la désinformation. Effectivement, il est parfois difficile de distinguer l’infox au sein du flux perpétuel d’informations. Les utilisateurs non aguerris la partagent et celle-ci se répand sur les réseaux comme une traînée de poudre.
Rappelons toutefois qu’il est important de distinguer liberté d’expression et désinformation. La liberté d’expression, énoncée à l’article 19 de la Déclaration universelle des droits de l’humain, est un droit fondamental [2]. Elle garantit aux individus de penser et d’exprimer leurs opinions librement. Elle a comme corollaires plusieurs libertés, dont la liberté de presse, la liberté d’information ou encore la liberté de réunion. Cependant, malgré que les adeptes de la désinformation revendiquent leur liberté d’expression comme source de la légitimité de leurs publications, les infox sont aux antipodes des fondements de la liberté d’expression. La désinformation cherche souvent à diviser la société, en instrumentalisant les informations pour nourrir la haine et inciter à la violence [3]. Or, la liberté d’expression ne justifie pas et ne protège pas l’incitation à la haine, l’appel à la violence ou à la discrimination, la diffamation ou encore l’atteinte à la propriété intellectuelle [4]. Ainsi, la liberté d’expression est un pilier de la démocratie qu’il ne faut ni suspendre, ni limiter, mais la désinformation porte préjudice à cette liberté et nuit à la démocratie. Il est donc essentiel de la dénoncer et la combattre.
Lutter contre la désinformation
En 2019, des élections provinciales et nationales ont eu lieu en Afrique du Sud. Ces dernières ont été accompagnées de campagnes de désinformation visant plusieurs communautés. Pour contrer la désinformation et minimiser son impact sur les élections, Media Monitoring Africa (MMA), une organisation sud-africaine prônant la démocratisation d’internet et un journalisme éthique et juste, a développé en partenariat avec la Commission électorale d’Afrique du Sud (IEC) une plateforme permettant aux internautes et aux citoyens de signaler des publications ou des articles qu’ils jugent faux. La plateforme, nommée Real411 [5], a reçu, un mois seulement après son lancement, plus de 70 plaintes [6]. Toutes les plaintes reçues ont été étudiées et vérifiées par un comité mis en place par l’IEC. Le comité comprenait des membres de la société civile, des experts juridiques et des représentants de l’IEC. Celui-ci traitait les plaintes et déterminait la marche à suivre pour contrer l’infox.
Face au succès de la plateforme en 2019, MMA a décidé de prolonger l’initiative en dehors des périodes d’élections et d’élargir son mandat. Real411 sera désormais utilisé pour reporter toute nouvelle susceptible d’être une infox, les publications incitant à la haine et la violence, ainsi que celles visant le harcèlement des journalistes. Un nouveau comité, le Digital Disinformation Complaints Committee (DCC), a été mis en place pour traiter les plaintes. La composition de ce nouveau comité se différencie du précédent par la présence de juges, siégeant à titre personnel et venus remplacer les représentants de l’IEC. Le comité étudiera les plaintes, établira la procédure à suivre et transmettra les publications qui transgressent la loi (incitation à la violence, harcèlement, menaces, etc.) aux autorités ou aux institutions compétentes. De plus, pour faciliter le processus de dépôt de plaintes, une application a été développée en parallèle de la nouvelle plateforme. L’application, appelée RoveR, acronyme de “real over rubbish” – vrai plutôt que faux – permettra à ses utilisateurs de faire une demande de vérification, pour toute publication qu’ils suspectent être une infox, directement sur leur téléphone. L’application inclut aussi des rubriques pour s’entraîner et tester ses aptitudes à reconnaître la désinformation.
Source: https://www.real411.org/complaints-process
Enfin, l’engagement des utilisateurs est un facteur clé de la lutte contre la désinformation. En effet, le succès et l’efficacité de l’initiative réside dans la création d’un réseau d’observateurs formés à repérer la désinformation et initiés à l’utilisation des plateformes. Le réseau, nommé “Spotters Network”, permet d’observer et de surveiller régulièrement et à plus grande échelle les publications et les informations partagées sur les divers réseaux sociaux. MMA va donc, en partenariat avec plusieurs universités et organisations, mettre en place des ateliers de sensibilisation et de formation. Le principal objectif est de créer un réseau hétérogène et performant, afin d’augmenter la capacité d’observation des informations qui circulent et d’engagement des citoyens dans la lutte contre la désinformation.
Conclusion
La désinformation est, dans une certaine mesure, protégée par la liberté d’expression, mais cette légalité ne la rend ni éthique, ni désirable. A l’inverse, elle rend nécessaire le développement de stratégies et d’outils pour lutter contre ses dérives et sa nuisibilité. Pour combattre la désinformation, MMA a mis en place plusieurs initiatives pour engager les citoyens, en leur offrant plusieurs plateformes au sein desquelles ils peuvent s’entraîner à déceler les infox et signaler celles-ci à un comité d’experts qui déterminera la marche à suivre et transmettre, le cas échéant, certaines plaintes aux autorités compétentes. L’engagement des utilisateurs au sein du Spotters Network est essentielle. Elle garantit l’efficacité de la lutte et accroît le rendement des plateformes. Le lancement ou plutôt le relancement de Real411 a eu lieu le 18 mars 2020, avec comme conférencier principal Zak Yaccob, activiste au sein du mouvement anti-apartheid et ancien juge de la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud.
L’initiative mérite l’attention des gouvernements et des organisations internationales et non-gouvernementales. Son potentiel est énorme et plusieurs répliques des différentes plateformes pourraient permettre de lutter contre la discrimination à l’échelle régionale voire internationale. Le Québec et le Canada sont-ils prêts à emboîter le pas à l’Afrique du Sud ?
Références :
[1] https://www.lefigaro.fr/langue-francaise/actu-des-mots/2017/11/02/37002-20171102ARTFIG00264-fake-news-elu-mot-de-l-annee-par-le-dictionnaire-collins.php
[2] https://fr.unesco.org/70years/liberte_dexpression
[3] https://www.ifes.org/sites/default/files/2019_ifes_disinformation_campaigns_and_hate_speech_briefing_paper.pdf
[4] https://www.maisondesjournalistes.org/les-limites-de-la-liberte-dexpression/
[6] https://news.real411.org.za/news-release-update-on-digital-disinformation-initiative/