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Blogue des stagiaires

Tunisie : La Baie de Monastir ne sent pas la rose

Crédit photo : Habib M'henni Camera - CC BY-SA 3.0
L’une des zones côtières les plus importantes en Tunisie est désormais affectée par des odeurs d’œufs pourris, de poissons morts, d’algues vertes toxiques et de marées de boues.

Actuellement, le golfe de Monastir est devenu une préoccupation majeure pour l’environnement en raison de sa pollution en constante hausse. Le déversement massif d’eau polluée et la responsabilité des auteurs de ces catastrophes environnementales ne sont pas réellement pris en compte par des politiques environnementales et des mesures concrètes.

Les intérêts ont une forte odeur

Autrefois synonyme de ressources piscicoles, la baie de Monastir s’est rapidement transformée en une véritable poubelle pour les entreprises de textiles. En effet, on compte plus de 500 entreprises du secteur du textile et 35 entreprises spécialisées dans le traitement du jeans, fermement installées et dédiées à poursuivre leurs activités polluantes1. Ces acteurs de l’économie de la région se débarrassent de leurs eaux usées dans les rivières ou dans les canalisations des eaux usées ménagères (lavabos, douches, cuisines, lave-vaisselle et, etc.) En conséquence, les eaux chimiques des entreprises tuent les bactéries destinées à traiter les eaux de ménage. Selon Mounir Hassine, président du Forum Tunisien des droits sociaux économiques (FTDES) à Monastir, plusieurs entreprises non déclarées optent pour une manière plus discrète pour polluer la baie. Pour accéder aux eaux souterraines, elles creusent des puits et jettent plus facilement leurs eaux usées dans la mer.

L’ancien professeur de géographie poursuit en expliquant que les trois stations d’épurations des eaux usées (STEPS) dans le gouvernorat de Monastir, Sayada-Lamta-Bouhjar, Frina et Jemmel sont en surcapacité. La station de Sayada-Lamta-Bouhjar possède en général une capacité d’eau de 1680 m³, mais elle reçoit plus de 10 000 m³, quant aux stations de Frina et Jemmel, elles ont une capacité de traitement des eaux usées de 13 500 m³, alors qu’elles reçoivent plus de 23 000 m³. Autrement dit, les stations ne peuvent plus traiter entièrement les eaux et l’Office national de l’assainissement (ONAS) doit déverser d’importantes quantités d’eau polluée dans la mer.  D’après la loi, M. Hassine révèle que les entreprises de fabrications textiles doivent disposer d’une station de prétraitement. Toutefois, le prix d’une station de prétraitement est dispendieux et les entreprises préfèrent largement payer des amendes.

Mounir Hassine en discussion avec des pêcheurs et à des représentants du ministère de l’environnement à propos de la situation environnemental de la baie de Monastir.
Crédit photo : Gaaloul Mohamed Elchbili- Responsable de la section environnementale du FTDES à Monastir (juillet 2024)

« Il est plus rentable de payer 5 000 dinars tunisiens (2 500 $ CAD) d’amendes, plutôt que de faire fonctionner une station plus couteuse […]. Si l’amende est seulement de 5 000 dinars, c’est bien parce que les juges ne sont pas spécialisés en droit de l’environnement. Ils ne comprennent pas l’ampleur des conséquences du déversement des eaux polluées à Monastir. » – Mounir Hassine.

« On n’arrive plus à respirer »

Sur une période de plusieurs années, de grandes quantités de poissons morts ont été retrouvées sur les plages alors que les habitant.es sont victimes des conséquences néfastes du sulfure d’hydrogène (H2S). Cette substance chimique, caractérisée par son odeur d’œuf pourri, génère une quantité considérable de « salade verte », plus communément connue sous le nom d’algues vertes. Les composés organiques altérés ont la capacité de libérer du sulfure d’hydrogène. Dans la région de Monastir, ce composé a clairement une origine anthropique, c’est-à-dire qu’elle le résultat du traitement des eaux usées. En outre, une étude bactériologique de l’eau en 2011 a révélé la présence de bactéries et de parasites (salmonelle, E.coli, entameba et autres) dans l’eau de la mer à Ksibet El Médiouni et à Soukrine, ce qui est préjudiciable à la santé des résidents2. Ces eaux ne doivent pas être consommées par les habitants, car elles peuvent causer des infections urinaires et cutanées, ainsi que des maladies telles que la dysenterie et la gastro-entérite. Bien que de nombreux habitants soient atteints de cancer et de maladies de la peau, les médecins refusent fermement de faire un lien de causalité entre la pollution et les maladies3.

Des dizaines de poissons sont souvent retrouvés échoués dans la baie de Monastir.
Crédit photo : Gaaloul Mohamed Elchbili- Responsable de la section environnementale du FTDES à Monastir (juillet 2024).

 

Les catastrophes écologiques les plus importantes de 2006 et 2011 ont réellement été la goutte de trop pour les résidents et les pêcheurs. La mer était devenue rouge et l’aération des maisons était impossible à cause d’un dégagement dangereux de sulfure d’hydrogène4.

L’ancien gouvernement tunisien, sous la présidence de Habib Bourguiba, envoya des spécialistes pour dissimuler les activités de l’ONAS, et affirma que c’était un phénomène tout à fait naturel. En réaction à la conclusion des experts, les habitants ont décidé de se mobiliser et de protester contre les catastrophes environnementales depuis 2006, dans le but de faire réagir les autorités. Le directeur de l’ONAS, sous la pression du public, a mis en place en 2011 une nouvelle expertise de l’eau qui les déchargeait de toute responsabilité, en concluant que la mer était polluée par la présence d’une quantité énorme de chaux dans l’oued de la ville de Khniss, une substance qui masque les odeurs5. Cependant, ce n’est qu’en 2013, suite au blocage des routes de la ville de Ksibet El Médiouni par des militants, que les autorités ont pris la décision de céder et de reconnaître leur négligence face au désastre.

Un premier remède a été proposé en 2013. Le conseil ministériel dédié à la baie de Monastir a proposé d’allouer un budget pour permettre la délocalisation des stations d’épuration de Sayada vers le pôle technologique à l’ouest de Monastir, ainsi que la modernisation de la station de Frina et la création d’un conseil de garde6. Jusqu’à présent, les mesures sont restées infructueuses, les promesses de l’ONAS ne conduisent à rien. Les pêcheurs ne trouvent plus de poissons et se retrouvent atteints de maladies cutanées7. La mer est toujours jonchée de déchets et d’algues, ce qui préoccupe les habitant.es qui ne constatent aucune avancée.

Répression et enjeux environnementaux avant les élections

Le FTDES analyse la situation et dénonce l’urgence environnementale dans la baie de Monastir. En pointant du doigt ces atteintes graves à l’écosystème marin, le forum a mis en place le projet Alkahina qui a pour principaux objectifs d’éradiquer la pollution marine, transformer progressivement des stations d’épuration en stations de pompage, séparer les eaux usées de ménages des eaux industrielles polluées et délocaliser les usines polluantes dans des zones spécifiques8. Or, comment continuer à lutter en faveur de la protection de l’environnement lorsque les autorités tunisiennes débarquent pour la deuxième fois au siège social du FTDES, à Tunis,  pour saisir tous les documents de l’organisme. Pire encore, le directeur du forum est menacé d’être emprisonné. Il convient de rappeler que de nombreux militants, acteurs médiatiques et employés de diverses ONG ont été appréhendés pour avoir dénoncer les mesures radicales prises contre les migrant.es et réfugié.es.

À l’approche des élections prévues le 6 octobre prochain, il semble que le président tunisien, Kaïs Saïed, qui vient de limoger 19 de ses ministres en une seule journée, souhaite maintenir une image impeccable et faire taire toutes les critiques à son égard. On retiendra donc une deuxième caractéristique du président Saïed, il est possible qu’il soit susceptible.

Notes et références

1. Robert, D. (2015). Une expérience d’expertise citoyenne en Tunisie – l’étude de la pollution de la baie de Monastir. AITEC (Association Internationale de Techniciens, Experts et Chercheurs) et FTDES (ForumTunisien pour les Droits Economiques et Sociaux). p.3. https://aitec.reseau-ipam.org/IMG/pdf/note_expertise_citoyenne_tunisie_baie_de_monastir.pdf

2. FTDES. (2013). Le désastre écologique de la Baie de Monastir. p.7. https://ftdes.net/rapports/desastreecologiqueMonastir.pdf

3. France 24. (3 juin 2020). Tunisie:avec le déconfinement, la pollution revient dans la baie de Monastir et tue des centaines de poissons. France 24. Consulté le 25 juillet 2024, (en ligne). https://observers.france24.com/fr/20200603-tunisie-deconfinement-pollution-poissons

4. Robert, R. (2015). op.cit., p. 4

5. FTDES. (2013). op.cit., p. 15

6. Ibid., p. 15-16

7. Poletti, A. (2023). « Quand l’industrie du jean détruit l’écosystème marin de la baie de Ksibet El Mediouni. Inkyfada ». Consulté le 25 juillet 2024, (en ligne). https://inkyfada.com/fr/2023/11/03/pollution-marine-industrie-jean-tunisie/

8. FTDES. (2013). Document à propos du projet « Alkahina » – Pour venir à bout de la pollution marine du golfe de Monastir et au niveau national.p.6-7. https://ftdes.net/rapports/alkahina.pdf