L’interruption soudaine du financement de l’Agence des États-Unis pour le développement international (USAID) a gravement affecté les efforts de développement communautaire du Népal à un moment charnière de la trajectoire de croissance du pays.
L’arrêt de 34 projets d’une valeur estimée à 329 millions de dollars a perturbé les efforts de développement des soins de santé, de l’éducation, de l’énergie et des infrastructures, affectant plus de 400 organisations et mettant en péril entre 30 000 et 35 000 emplois pour les jeunes1. Ces projets étaient censés stimuler les progrès du Népal dans le sens de la réalisation des Objectifs de développement durable (ODD), en particulier dans les communautés rurales et marginalisées. Le moment choisi pour ce retrait est on ne peut plus mal choisi, puisqu’il coïncide avec la sortie anticipée du Népal du statut de pays moins avancé (PMA), ce qui aggrave son impact et introduit une incertitude accrue pour l’avenir économique et social de la nation. Il s’agit d’une grave perte de ressources et d’une rupture de confiance dans la continuité des partenariats mondiaux pour le développement. Si rien n’est fait, les conséquences pourraient réduire à néant des années de progrès en matière de développement et aggraver les inégalités. Le Népal est maintenant confronté au double défi de maintenir son élan tout en naviguant dans un paysage de soutien international plus restreint.
Le système de santé népalais, l’éducation et le secteur de l’énergie, premières victimes des coupes budgétaires
L’une des conséquences les plus immédiates du retrait de l’aide a été ressentie dans le secteur de la santé. Les programmes précédemment financés par l’USAID, notamment la santé maternelle et infantile, la prévention du VIH/SIDA et le soutien nutritionnel, ont été interrompus, ce qui expose de nouveau les populations vulnérables à des risques2. Les postes de santé communautaires et les cliniques qui dépendaient de ces programmes sont maintenant confrontés à des pénuries de médicaments, à des manques de personnel et à une réduction de la capacité d’intervention. Ces revers sont particulièrement alarmants dans les zones rurales, où les systèmes de santé publique restent fragiles. Les experts mettent en garde contre l’augmentation des taux de morbidité et de mortalité si les services essentiels ne sont pas rapidement rétablis. L’absence d’initiatives en matière d’éducation à la santé menace également de réduire la sensibilisation à l’hygiène, à la nutrition et à la santé génésique. Ces revers sont opérationnels et ont des conséquences à long terme sur les résultats sanitaires nationaux et la productivité économique. Les progrès réalisés en matière de santé au cours de la dernière décennie reposent désormais sur des bases incertaines.
Le secteur de l’éducation a connu des bouleversements similaires. Les programmes qui soutenaient l’accès à une éducation de qualité par le biais de bourses, de développement des infrastructures et de formation des enseignants ont été interrompus3. Cette situation est particulièrement préjudiciable pour les enfants des régions isolées et mal desservies, qui sont confrontés à des risques accrus d’abandon scolaire et à des possibilités d’apprentissage réduites. Avec moins de ressources pour l’éducation inclusive, les progrès en matière d’alphabétisation et de parité entre les sexes risquent de s’arrêter ou de s’inverser. L’interruption des programmes de renforcement des capacités des enseignants laisse les éducateurs sans outils pour adapter les programmes ou atteindre les apprenants vulnérables. Les communautés scolaires qui commençaient à prospérer grâce au soutien international sont maintenant confrontées à la stagnation. Ces problèmes compromettent à la fois le droit à l’éducation et les objectifs plus larges du Népal en matière de développement du capital humain. Sans un soutien renouvelé, une génération entière pourrait être laissée pour compte.
Dans les secteurs de l’énergie et des infrastructures, les projets suspendus comprennent l’amélioration des routes et l’extension des lignes de transport d’électricité, en particulier dans les régions isolées4. Ces investissements dans les infrastructures étaient destinés à stimuler l’inclusion économique, à améliorer l’accès aux services et à réduire les disparités régionales. Leur arrêt non seulement stoppe les progrès, mais menace de creuser l’écart de développement entre le Népal urbain et le Népal rural. Les entreprises qui dépendent d’une meilleure connectivité et de la sécurité énergétique risquent de retarder leur expansion ou de réduire leurs activités. Les gouvernements locaux, dont les capacités et les ressources sont déjà limitées, ne sont pas en mesure d’absorber ou de poursuivre ces projets à grande échelle. Le ralentissement du développement compromet l’ambition du Népal de parvenir à une croissance inclusive et résiliente au changement climatique. En l’absence d’alternatives, des communautés entières risquent de continuer à être marginalisées par rapport au développement national.
Des conséquences sociales importantes sur le marché du travail népalais
Les retombées économiques de ces projets suspendus ont été graves. Avec plus de 30 000 travailleurs soudainement sans emploi, la réduction de l’aide a provoqué un choc économique, en particulier parmi les travailleurs communautaires, les professionnels de la santé et le personnel logistique5. Nombre de ces personnes avaient reçu une formation spécialisée financée par des programmes internationaux, ce qui suscite des inquiétudes quant à une éventuelle fuite des cerveaux, la main-d’œuvre qualifiée cherchant la stabilité à l’étranger. L’impact psychosocial sur les familles confrontées à la perte d’emploi et à l’insécurité des revenus ne peut être sous-estimé. Cette hausse du chômage exacerbe les vulnérabilités sociales existantes, en particulier chez les femmes et les jeunes qui avaient trouvé un emploi dans le domaine du développement. Elle sape également la résilience des organisations de la société civile, qui ont perdu non seulement des fonds, mais aussi des ressources humaines expérimentées. En l’absence de mesures d’atténuation immédiates, ces pertes pourraient paralyser le secteur du développement communautaire au Népal pendant des années.
Le changement de statut du pays, un cadeau empoisonné?
La sortie prochaine du Népal du statut de PMA, autrefois annoncée comme une étape importante, vient aujourd’hui compliquer cette situation fragile. La sortie du statut de PMA devrait entraîner la perte de l’accès préférentiel au commerce, du financement à des conditions préférentielles et de l’éligibilité à certaines formes d’assistance technique6. Ces privilèges ont été essentiels pour les gains de développement et le renforcement institutionnel du Népal. Selon Bhattarai7, le chevauchement du changement de statut du pays et du retrait soudain de l’aide menace gravement les objectifs du Népal en matière d’ODD. L’obtention d’un diplôme est censée indiquer que l’on est prêt et résilient, mais dans le cas du Népal, elle risque de devenir symbolique plutôt que substantielle. S’il n’est pas accompagné de mécanismes de transition solides, ce changement pourrait entraîner une régression plutôt qu’une croissance. Les partenaires de développement du Népal ne doivent pas confondre l’obtention formelle d’un diplôme avec une sécurité économique totale.
Le Canada doit devenir un allié dans la transition de statut du Népal
À la lumière de ces défis, il est impératif que les acteurs internationaux réévaluent leurs responsabilités pendant la transition du Népal. Des organisations comme Alternatives Montréal et les gouvernements des pays industrialisés, dont celui du Canada, ont un rôle à jouer pour combler ce fossé. La stratégie indo-pacifique du Canada et ses antécédents en matière de soutien aux PMA font de lui un allié clé grâce à la continuité du financement, au soutien technique et à la défense des intérêts internationaux8,9. Les institutions du Nord, en particulier celles qui sont engagées en faveur de l’équité et du développement durable, doivent démontrer leur solidarité dans la pratique. Ce moment exige plus que des déclarations, car il nécessite des ressources, une collaboration et une coordination des politiques. La coopération au développement doit être recalibrée pour protéger les plus vulnérables pendant les transitions économiques. Le succès du Népal ne devrait pas être mesuré uniquement par l’étiquette de PMA, mais par sa capacité à maintenir une croissance inclusive dans la foulée.
En conclusion, l’arrêt du financement de l’USAID a porté un coup critique à l’écosystème de développement du Népal, en particulier au moment où le pays est sur le point d’obtenir le statut de pays en développement. Ce qui aurait dû être un moment d’autonomisation a au contraire révélé des vulnérabilités structurelles et soulevé de sérieuses questions sur la responsabilité des donateurs. Si l’on n’y prend pas garde, ce croisement entre le retrait de l’aide et la transition systémique pourrait faire dérailler des années de progrès et affaiblir les fondements du développement du Népal. Cependant, cette crise offre également l’opportunité de réimaginer des modèles de coopération internationale plus justes et plus efficaces. Grâce à des partenariats stratégiques, des institutions solides et des alliés engagés, le Népal peut encore franchir ce cap. Mais il faudra que la communauté internationale agisse non seulement avec urgence, mais aussi avec une véritable responsabilité.
Références
1. Bhattarai, A. (12 mars 2025). « Graduation from LDC and SDG targets under threat« . The Kathmandu Post. Récupéré de : https://kathmandupost.com/interviews/2025/03/31/graduation-from-ldc-and-sdg-targets-under-threat
2. Tanjid, O. (12 mars 2025). « US Halts $329 Million in Aid to Nepal, Impacting 34 Development Projects« . Nepal Monitor. Récupéré de : https://nepalmonitor.com/2025/03/12/us-halts-aid-to-nepal/
3. Poudel, K. (10 mars 2025). « US suspension of grant: Impact on Nepal« . Spotlight Nepal. Récupéré de : https://www.spotlightnepal.com/2025/03/10/us-suspesion-grant-impact-nepal/
4. Sharma, G. (2o février 2025). « US grants for two key Nepal infrastructure projects suspended after Trump order ». Reuters. Récupéré de : https://www.reuters.com/world/asia-pacific/us-grants-two-key-nepal-infrastructure-projects-suspended-after-trump-order-2025-02-20/
5. Giri, A. (12 mars 2025). « In Nepal, US pulls the plug on aid projects worth Rs46.12 billion ». Kathmandu Post. Récupéré de : https://kathmandupost.com/national/2025/03/12/in-nepal-us-pulls-the-plug-on-aid-projects-worth-rs46-12-billion
6. Shekh, I. A., Bhattarai, S. K., & Thapa, R. (2025). « In perspective: Nepal’s LDC graduation: Implications, opportunities, and pathways ». Local Economy, 39(3-4), 197-206. https://doi.org/10.1177/02690942251315682
7. op. cit.
8. Gouvernement du Canada. (2023). « Canada’s Indo Pacific Strategy ». Récupéré de : https://www.international.gc.ca/transparency-transparence/indo-pacific-indo-pacifique/index.aspx?lang=eng#a1_1
9. Nations unies. (19 juillet 2023). « LDC Portal – International Support Measures for Least Developed Countries ». Récupéré de : https://www.un.org/ldcportal/tags/canada