Dans les rues de Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie, pays reconnu pour sa diversité et la cohabitation harmonieuse de nombreuses cultures, une réalité persiste derrière les façades modernes : la discrimination raciale et ethnique dans la recherche de logement. Comment cette situation peut-elle être ignorée, alors qu’elle demeure une réalité pour tant de personnes, et pourquoi si peu en sont-ils conscients malgré sa persistance dans le pays ? C’est une question essentielle à se poser. Cette discrimination, souvent masquée par des excuses subtiles, soulève de profondes interrogations quant à l’égalité des droits dans un pays où la diversité est pourtant célébrée comme une richesse.
Un phénomène caché, mais répandu
Bien que l’article 8 de la Constitution malaisienne proclame l’égalité de tous les citoyen.ne.s et prohibe la discrimination fondée sur la race, la religion ou l’origine, les pratiques discriminatoires demeurent omniprésentes dans la recherche de logement, particulièrement à Kuala Lumpur. Les minorités ethniques, notamment les Malaisiens d’origine indienne, les travailleur et travailleuses migrant.es, ainsi que les étudiant.es internationaux.ales, continuent à être confrontés à des refus de location basés uniquement sur leur race ou leurs origines.
De nombreux témoignages circulent sur les réseaux sociaux dénonçant cette réalité préoccupante. Par exemple, un utilisateur de Reddit, sous le pseudonyme kittycattack, rapporte ainsi : « Il y a un immeuble à Taman Tun Perak qui applique une politique stricte de « pas d’Africains ». Ils ont même affiché des banderoles dans la région pour l’annoncer1 ».
Sur Facebook, Diiver Suppiah partage un message d’un propriétaire déclarant sans équivoque :
« Bonjour, désolé de vous informer qu’après en avoir discuté avec ma famille et mon partenaire, nous préférons uniquement un LOCATAIRE CHINOIS pour notre logement. Merci donc de libérer la chambre principale dès aujourd’hui. Je viendrai demain vers 11h à l’appartement pour vous rencontrer et régler nos problèmes. Merci beaucoup2.
Ce genre de message illustre un racisme flagrant qui persiste malgré les dispositions légales.
Les plateformes de location regorgent également d’annonces stipulant des critères ethniques explicites : « Nous ne louons pas aux Indiens » ou encore « Réservé aux Chinois », des pratiques qui prévalent quel que soit le dossier financier ou la solvabilité des candidat.es. Ces critères, fondés sur la couleur de peau ou l’origine, relèvent d’une discrimination systémique qui exclut injustement des personnes qualifiées.
Ces discriminations, qui devraient être illégales sous l’égide de la Constitution, persistent en raison d’une législation insuffisante dans le secteur privé. Bien que l’article 8 établisse une protection théorique contre de telles injustices, le manque de réglementation spécifique en matière de logement laisse un vide juridique qui permet à ces comportements racistes de prospérer. La nécessité de légiférer plus fermement pour protéger les droits de tout.e.s les locataires en Malaisie est plus urgente que jamais.
Les impacts de la discrimination sur les communautés marginalisées
Les conséquences de cette discrimination ne se limitent pas uniquement à l’injustice et la colère ressentie par les individus concernés. Elles renforcent les divisions sociales et économiques, isolant les communautés marginalisées dans des quartiers spécifiques souvent sous-développés ou moins bien desservis.
Dans les quartiers populaires de Kuala Lumpur, de nombreuses familles indiennes et de travailleurs migrant.e.s, vivent dans des conditions précaires, faute de pouvoir accéder à des logements mieux situés ou de meilleure qualité. Ces zones, marquées par des infrastructures insuffisantes, tels que des routes en mauvais état, un accès limité aux services de santé, des établissements scolaires de qualité médiocre et un transport en commun déficient, exacerbent les inégalités économiques et sociales auxquelles ces groupes font déjà face.
La double discrimination des étudiant.es et des travailleurs et travailleuses noir.es dans la capitale
Les étudiant.es noir·es d’origine étrangère et les travailleurs et travailleuses noir.es en Malaisie font face à des obstacles encore plus complexes que leurs homologues d’autres origines. Déjà perçu.e.s comme des étrangers, ils se heurtent à un racisme latent et persistant de la part de certains segments de la population malaisienne. Ce racisme est alimenté par des préjugés bien ancrés, qui les dépeignent comme « sales », « bruyants », « pauvres », « dangereux » ou même « criminels », renforçant ainsi la stigmatisation dont ils sont victimes.
Ces stéréotypes ont des répercussions graves sur leur capacité à trouver un logement, à accéder aux services publics et même à s’intégrer socialement. Pour beaucoup, leur présence semble automatiquement suspecte, exacerbant leur isolement. Sur les réseaux sociaux, notamment sur Reddit, de nombreux utilisateurs tentent de rationaliser le refus de louer un appartement à des personnes d’origine africaine. Par exemple, un utilisateur, Neduenedu, évoque des préoccupations concernant les locataires africains :
« Pour les locataires africains, les problèmes étaient des fêtes bruyantes, de l’alcool, de la marijuana et des squatteurs dans la propriété. Certains garçons se montrent très insistants et intrusifs auprès des femmes locales. »
Un autre utilisateur, Luxollidd, ajoute :
« Je ne blâme pas entièrement les propriétaires, la réputation parle plus fort que les mots. »
Ce type de justification témoigne d’un problème persistant que doivent affronter les Africains en Malaisie, créant un environnement d’exclusion qui va bien au-delà du simple refus de location.
J’ai eu le plaisir de rencontrer Mariam et Ibrahim (noms fictifs), un couple marié dans la quarantaine, parents d’un jeune enfant. Ibrahim, arrivé en tant qu’étudiant il y a douze ans et diplômé de plusieurs filières, n’a pas réussi à trouver un appartement adéquat pour sa petite famille.
Il déclare : « Il est extrêmement difficile de trouver un logement. Dès que les propriétaires découvrent ou me demandent mon origine ethnique, je sais d’avance que ma candidature sera rejetée. De plus, en tant que chrétien, cela ajoute une complication supplémentaire au processus. J’ai le sentiment que tout joue contre moi. » Sa femme, Mariam, partage ses frustrations : « J’ai vraiment du mal à m’insérer dans la société. Même mon fils, les voisins refusent qu’il joue avec leurs enfants. Au supermarché, on me regarde constamment de travers. Je préfère livrer les courses et rester chez moi. Non seulement je suis étrangère, mais ma couleur de peau semble poser problème partout où je vais, on me traite souvent comme si je n’avais pas ma place ici. »
Les récits comme celui-ci ne sont malheureusement pas rares. De nombreux.euses étudiant.e.s et travailleur.euse.s noir.e.s rapportent des expériences similaires de discrimination dans leur quotidien. Ce climat de suspicion est particulièrement visible dans le secteur du logement, où certain.e.s propriétaire.s et agent.e.s immobiliers.ères refusent catégoriquement de louer à des personnes d’origine africaine, utilisant des prétextes racistes pour justifier leur refus.
Cette discrimination dépasse largement la simple question du logement. Elle se manifeste dans d’autres aspects de la vie, notamment l’accès aux opportunités d’emploi, aux services de santé et aux espaces publics. Les étudiant.e.s et travailleur.euse.s noir.e.s se retrouvent souvent isolé.e.s dans des environnements peu accueillants, sans soutien institutionnel pour lutter contre ces injustices. Cette marginalisation sociale et économique contribue à renforcer les divisions et les inégalités au sein de la société malaisienne.
La situation est d’autant plus préoccupante en raison du manque de mécanismes juridiques et politiques pour protéger ces groupes vulnérables. Bien que l’article 8 de la Constitution malaisienne interdise la discrimination fondée sur la race ou l’origine, les minorités visibles continuent de subir ces pratiques sans recours réel, ce qui perpétue une impunité et permet à ces comportements de perdurer.
La question demeure : comment, dans un pays qui prône la diversité comme une richesse, la société peut-elle tolérer de telles formes d’exclusion systématique ? Ces injustices exigent une réponse urgente, tant au niveau législatif que social, pour garantir que chaque individu, peu importe son origine, puisse vivre dignement sans craindre d’être jugé.e sur la couleur de sa peau.
La « Malays First Policy » : un obstacle à l’inclusion sociale
La « Malays First Policy », conçue pour corriger les déséquilibres économiques entre les groupes ethniques, a renforcé l’importance de la race dans l’accès aux ressources, y compris le logement. Si cette politique visait à favoriser les Malais, elle a aussi exacerbé les divisions et la méfiance entre les communautés.
Dans le domaine du logement, elle a parfois servi de justification implicite pour que des propriétaires ou agences privilégient les locataires malais, au détriment des minorités, notamment les personnes d’origine africaine ou indienne. Ce favoritisme accorde une priorité à l’appartenance ethnique, créant une barrière supplémentaire pour les minorités visibles.
Cela nourrit un sentiment d’injustice et d’inégalité, rendant leur intégration encore plus difficile. Il est crucial de réévaluer cette politique pour éviter qu’elle ne perpétue des discriminations systémiques et entrave la cohésion sociale dans une Malaisie qui se veut un modèle de diversité.
Un appel à l’action pour un avenir inclusif : législation et sensibilisation
Face à la persistance de la discrimination dans la recherche de logement, il est important que le gouvernement Malaisien mette en œuvre des réformes législatives tout en renforçant les efforts de sensibilisation. Changer les mentalités par l’éducation est essentiel, mais il est tout aussi crucial que des mesures fermes soient prises pour sanctionner les propriétaires et agences immobilières qui perpétuent ces pratiques racistes.
Alors que Kuala Lumpur continue de se développer et d’attirer des travailleur.euse.s et étudiant.e.s du monde entier, ainsi qu’une population malaisienne d’origine indienne, la discrimination raciale dans le logement demeure un défi majeur. Pour devenir une métropole véritablement inclusive, la ville doit garantir que les droits de chacun.e, indépendamment de l’origine ou de la couleur de peau, soient respectés. Seule une prise de conscience collective, accompagnée d’actions concrètes, mettra fin à cette injustice invisible, mais omniprésente.
Notes et références
1. u/take_whats_yours. (2017, April 6). Racism in property rentals? Reddit. https://www.reddit.com/r/malaysia/comments/80uyep/racism_in_property_rentals/?sort=top
2. Zalina, M. (2022, November 4). Malaysian Indian evicted 2 weeks after moving in because landlord prefers Chinese tenants. SAYS. https://says.com/my/news/malaysian-indian-evicted-2-weeks-after-moving-in-because-landlord-prefers-chinese-tenants
Pour aller plus loin
South China Morning Post. (2017, October 25). Racism in Malaysia and the struggle of Africans and South Asians to rent in Kuala Lumpur. https://www.scmp.com/lifestyle/article/2127261/racism-malaysia-and-struggle-africans-and-south-asians-rent-kuala-lumpur
Lau, E. (2023, September 20). Racial discrimination in Malaysia’s housing market remains a problem. Malaysiakini. https://www.malaysiakini.com/news/677275
Ravi, A. (2023, September 20). Rental racism is still rampant in Malaysia and Singapore. Vice. https://www.vice.com/en/article/rental-racism-malaysia-singapore/
Goh, M. (2022, April 20). Racism, landlords, and tenants: Two views on new law. Free Malaysia Today. https://www.freemalaysiatoday.com/category/nation/2022/04/20/racism-landlords-and-tenants-two-views-on-new-law/
Mohan, S. (2024, September 28). Discrimination persists in rental market. The Star. https://www.thestar.com.my/opinion/letters/2024/09/28/discrimination-persists-in-rental-market
Prasad, S. (2022, July 25). Malaysia must face up to its culture of racism. Human Rights Pulse. https://www.humanrightspulse.com/mastercontentblog/malaysia-must-face-up-to-its-culture-of-racism
Rohani, M. (2020, March 4). Malaysia’s Malay first malaise. The Diplomat. https://thediplomat.com/2020/03/malaysias-malay-first-malaise/