Depuis le 22 février 2019, le peuple algérien bat le pavé dans le but de conquérir ses libertés démocratiques, réaliser un État de droit et, plus fondamentalement, gagner en capacité d’agir pour prendre son destin en main.
Le soulèvement pacifique, mieux connu sous le nom du Hirak, est caractérisé par une mobilisation militante et citoyenne inédite, irréductible aux manifestations, et face à laquelle les seules réponses du régime algérien sont la répression et l’incarcération arbitraire. Ce mouvement a montré une grande maturité politique en suspendant les marches de contestation pour éviter la propagation en pleine pandémie de la COVID-19.
Au lieu de répondre aux aspirations légitimes de la population, les autorités algériennes, surtout préoccupées par la mainmise et la reproduction du régime, bricolent des feuilles de route visant la sauvegarde de sa façade politique. Le pouvoir de fait étant entre les mains des militaires.
C’est dans ce cadre qu’elles ont tenu un référendum constitutionnel en date du 1er novembre 2020. Le Oui l’a emporté à 66,8 %, mais avec un taux de participation (officiel) de 23,7 %. Les urnes ont été boycottées de manière spectaculaire, du jamais vu depuis l’indépendance (1962), ce qui enlève toute légitimité audit référendum. En vérité, celui-ci n’aurait concerné qu’à peine 10 % du corps électoral, aux yeux des analystes les plus avertis. Ce qui témoigne de l’ancrage du Hirak, que le régime et ses relais présentent comme essoufflé.
Cette énième manœuvre référendaire prouve que le régime n’a aucune intention de répondre aux aspirations populaires et citoyennes. Elle ne participe d’aucune volonté d’ouverture de la scène politique ; pas plus qu’elle ne favorise un dialogue avec les différents mouvements, groupes et acteurs pouvant induire une sortie de la dictature militaire et éventuellement un processus constituant et démocratique convoquant une multitude de prises de parole pour redéfinir les règles du jeu politique.
Ne le perdons pas de vue, le soulèvement algérien vise à donner une assise véritable à la notion de transition démocratique trop souvent réduite à la stabilité, au refus du conflit et à des pactes entre élites. Le peuple algérien s’évertue à opposer une démocratie concrète en actes, où quiconque peut participer à l’élaboration de la norme commune, à une « démocratie autoritaire » usurpée de son sens véritable.
Pour ouvrir ce nouveau cycle politique, les dirigeants algériens doivent cesser la répression et procéder à la libération immédiate de tous les détenus politiques et d’opinion, aujourd’hui incarcérés par un appareil juridique à la solde de la junte militaire. Compte tenu de la situation en Algérie, ces détentions demeurent arbitraires dans la mesure où elles visent des personnes dont le seul tort est d’avoir réclamé pacifiquement un État de droit devant garantir les libertés individuelles et collectives. En effet, les autorités ciblent depuis des mois les militants du Hirak, multipliant ainsi interpellations et condamnations ; alors que les manifestations ont été suspendues depuis le début de la pandémie.
À titre d’exemple, nous pouvons citer le cas d’Abdellah Benaoum, dont le dossier à charge contient principalement des photos prises sur Facebook, à travers lesquelles il dénonce le pouvoir et encourage à boycotter les élections présidentielles de décembre 2019. À la fin du mois d’octobre, il a été évacué d’urgence à l’hôpital Mustapha Bacha (Alger) pour y subir une intervention chirurgicale. En effet, Benaoum souffre de graves problèmes cardiaques et malgré ça, on lui a refusé plusieurs demandes de liberté provisoire.
La presse libre n’est pas en reste, elle subit également beaucoup de pression. Le 7 mars 2020, le journaliste Khaled Drareni a été arrêté et incarcéré par les autorités algériennes après avoir couvert des manifestations du Hirak ; puis jugé et condamné à trois ans de prison ferme le 10 août 2020 pour « incitation à attroupement non armé et atteinte à l’intégrité du territoire national ». Alors que l’opinion publique attendait la libération de Drareni en appel, une réduction seulement de sa condamnation à deux ans a été prononcée.
En plus des détenus du Hirak, plusieurs prisonniers politiques croupissent en prison depuis des années, voire des décennies, bien qu’ils aient été jugés par des juridictions d’exception ou encore des tribunaux militaires.
Face à cette répression, un mouvement de solidarité s’organise à l’échelle internationale. Au Canada, le Parlement fédéral (Chambre des communes) a adopté à l’unanimité une motion condamnant la répression politique en Algérie et demandant le respect des droits de la personne ainsi que la libération des détenus d’opinion et des prisonniers politiques. Une deuxième motion avec des revendications similaires a été déposée et adoptée par l’Assemblée nationale du Québec.
Nous avons le devoir d’être aux côtés de ceux et celles qui, en Algérie comme ailleurs, sont dans le sillage d’un processus pouvant contrer les logiques de dé-démocratisation et la spirale régressive de la citoyenneté dont même les démocraties libérales ne peuvent se prémunir dans la phase actuelle d’un néolibéralisme mondialisé s’accommodant des replis culturalistes et des mesures autoritaires dont sont passés maîtres les militaires algériens.
Dans la suite de cette vague de soutien, nous voulons manifester notre solidarité avec le Hirak et dénoncer la répression menée par le pouvoir algérien. Nous exigeons de celui-ci la libération immédiate et sans condition de tous les prisonniers politiques et détenus d’opinion, une justice indépendante, impartiale, garante de procès équitables pour tous les justiciables, ainsi que le respect de tous les traités et conventions de défense des droits de la personne qu’il a ratifiés.
* Signataires :
Groupes / organisations :
Luc Allaire, Amélie Nguyen, Centre international de solidarité ouvrière ; Michèle Asselin, Association québécoise des organismes de coopération internationale ; Nadjet Bouda, Salim Boudjema, Amine Brahimi, Mouloud Idir, Comité de soutien aux droits humains en Algérie – Montréal ; Safa Chebbi, Alternatives ; Élisabeth Garant, Centre justice et foi ; Diane Matte, Concertation des luttes contre l’exploitation sexuelle ; Alexandra Pierre, Ligue des droits et libertés.
Signatures individuelles :
Delphine Abadie, philosophe, Université de Montréal ; Lahouari Addi, sociologue, Georgetown University ; Norman Ajari, philosophe, Villanova University ; Omar Aktouf, économiste, HEC Montréal ; Sonia Alimi, doctorante en sociologie, UQAM ; Nawel Amara Hamidi, juriste, Université Saint-Paul ; Samia Amor, juriste, Université de Montréal ; Marcos Ancelovici, sociologue, UQAM ; Boualem Aourane, militant altermondialiste ; Emiliano Arpin-Simonetti, revue Relations ; Rémi Bachand, juriste, UQAM ; Etienne Balibar, philosophe, Paris-Nanterre et Columbia University ; Chedly Belkhodja, politiste, Université Concordia ; Omar Benderra, économiste, Algeria-Watch ; Sihem Bensedrine, militante pour les droits de la personne ; Gilles Bibeau, anthropologue, Université de Montréal ; Haroun Bouazzi, militant pour les droits de la personne ; Riad Boukherbab, doctorant en économie, Université de Béjaïa ; Bonnie Campbell, politologue, UQAM ; Lucio Castracani, anthropologue, Université de Montréal ; Monique Chemillier-Gendreau, juriste, Paris-Diderot ; Jocelyne Dakhlia, historienne, EHESS ; Sonia Dayan-Herzbrun, sociologue et philosophe, Université de Paris ; Islam-Amine Derradji, doctorant en science politique, Université de Montréal ; Marie-Christine Doran, politologue, Université d’Ottawa ; Elodie Ekobena, militante pour les droits de la personne ; Amel Gherbi, doctorante en études urbaines, INRS ; Lorraine Guay, militante altermondialiste ; Fella Hadj-Kaddour, doctorante en science politique, Université de Montréal ; Dyala Hamzah, historienne, Université de Montréal ; Meriem Hechelef, militante pour les droits de la personne ; Denise Helly, anthropologue, INRS ; Choukri Hmed, politiste, Université Paris-Dauphine ; Ali Ihaddadene, militant pour les droits de la personne ; Jooneed Khan, journaliste ; Fatima Khemilat, doctorante en science politique, Université d’Aix ; Diane Lamoureux, sociologue et politiste, Université Laval ; Anne Latendresse, géographe, UQAM ; Raymond Legault, militant antiguerre ; Tristan Leperlier, sociologue, CNRS ; Suzanne Loiselle, militante altermondialiste ; Wooldy Edson Louidor, philosophe, Pontificia Universidad Javeriana de Bogota ; Djemaa Maazouzi, études littéraires, collège Dawson ; Bochra Manaï, géographe, INRS ; Paul May, politologue, UQAM ; Sarah Mazouz, sociologue, Université de Lille ; Mabrouka Mbarek, politiste, University of Massachusetts / Amherst ; Corinna Mullin, politiste, New School of social research, New York ; Philippe Néméh-Nombré, doctorant en sociologie, Université de Montréal ; Rachid Ouaïssa, politiste, Marburg University ; Andréanne Pâquet, militante pour les droits de la personne ; Ricardo Peñafiel, politologue, UQAM ; Amín Pérez, sociologue, UQAM ; Nadja Pollaert, militante pour les droits de la personne ; Lilyane Rachedi, École de travail social, UQAM ; Geneviève Rail, Études féministes, Institut Simone de Beauvoir ; Vincent Romani, politologue, UQAM ; Pierrot Ross-Tremblay, juriste et sociologue, Université d’Ottawa ; Brahim Rouabah, politologue, Brooklyn College ; Gisèle Sapiro, sociologue, EHESS ; Michel Seymour, philosophe, Université de Montréal ; Todd Shepard, historien, Johns Hopkins University ; Sid-Ahmed Soussi, sociologue, UQAM ; Tayeb Touati, militant pour les droits de la personne ; Simon Tremblay-Pépin, politologue, Université Saint-Paul ; Françoise Vergès, politiste et féministe décoloniale ; Nesroulah Yous, militant pour les droits de la personne et écrivain ; Hèla Yousfi, économiste, Paris-Dauphine.