L’amicus curiae ou « ami de la cour » est une entité – une personne ou une organisation — qui assiste la cour en lui fournissant des informations, des conseils ou une expertise concernant des questions ou des enjeux liés à une affaire en instance [1]. Un ami de la cour ne constitue pas une des parties du procès, mais il demeure responsable devant le tribunal. Il n’a pas nécessairement besoin d’être sollicité par l’une des parties. Toutefois, à quelques exceptions près, un amicus doit demander l’approbation du tribunal et/ou des parties impliquées dans l’affaire. Les informations ou les conseils fournis prennent généralement la forme d’un mémoire. La décision finale de prendre en considération ou non les recommandations revient au tribunal [2].
Le principe d’amicus curiae trouve ses origines dans la Rome antique (droit romain) et a été progressivement intégré dans la plupart des systèmes de droit civil, de common law et de droit international. Aujourd’hui, l’amicus curiae est utilisé dans de nombreuses juridictions internationales, telles que la Cour européenne des droits de l’homme, le Centre international pour le règlement des différends relatifs aux investissements ou encore la Cour interaméricaine des droits de l’homme. De nombreuses organisations et groupes de la société civile y voient un outil démocratique important. Ils y ont souvent recours pour sensibiliser les juges à des enjeux liés à l’affaire en cours.
Le procès d’amaBunghane
Le mardi 25 février 2020, la Cour constitutionnelle d’Afrique du Sud a entendu la plaidoirie d’amaBunghane, dans le cadre de la contestation de la loi sud-africaine encadrant la surveillance des individus, connue sous le nom de RICA (Regulations of Interception of Communications and Provision of Communication-Related Information Act 70 de 2002) [3].
Le Centre amaBunghane pour le journalisme d’investigation est une société de presse sud-africaine indépendante et à but non-lucratif. Il a pour objectif de promouvoir « des médias libres et compétents et une démocratie ouverte, responsable et juste » [4]. En 2017, l’équipe d’amaBunghane a découvert que la police avait mis sous surveillance l’un de leurs journalistes, Sam Sole. Selon le Centre, ce n’était pas la première fois que le gouvernement faisait usage de la réglementation (RICA) pour espionner des journalistes. Ils ont donc décidé de saisir la Haute Cour du Gauteng du Nord (North Gauteng High Court) et de poursuivre les parties impliquées dans la surveillance. En septembre 2019, le juge Sutherlands s’est prononcé en faveur d’amaBunghane et a statué que plusieurs dispositions de la réglementation étaient inconstitutionnelles. Le juge a alors accordé deux ans au parlement pour apporter les modifications nécessaires à RICA. Mais sa décision a été contestée par les accusés. Il incombe désormais à la Cour constitutionnelle de décider s’il convient de déterminer si le verdict de la Haute Cour doit être maintenu.
Au cours de la session du 25 février, l’avocat d’amaBunghane, Steven Budlender, a présenté cinq arguments clés. Premièrement, l’absence de notifications post-surveillance, une pratique largement répandue dans les pays démocratiques. Deuxièmement, l’indépendance du juge désigné, choisi par l’exécutif, et l’absence de toute forme de procédure adverse. Troisièmement, l’absence de garanties concernant la collecte des données, leur accessibilité et la protection de la vie privée des tiers. Quatrièmement, le manque de dispositions spécifiques concernant les cas où la personne surveillée est un avocat ou un journaliste, une situation qui soulève des questions de confidentialité et de respect du privilège juridique. Cinquièmement et finalement, la surveillance entreprise est illégale, dans la mesure où l’opération n’est conforme à aucune loi, y compris RICA [5].
En face, le principal accusé – le ministre de la justice et des services correctionnels – a fait valoir que la « cour devrait donner à l’exécutif et au législatif la possibilité de se pencher sur les aspects constitutionnellement inadmissibles de RICA par le biais de dispositions pratiques qui servent les objectifs de mise en application de la loi et d’investigations sur les crimes graves, de manière non-restrictive, dans les limites de la Constitution » [6]. Il fait également valoir l’existence de limites à l’intervention de la Cour, qui ne doit pas faire abstraction de la séparation des pouvoirs. Enfin, l’avocat estime que le délai de deux ans imparti par la Haute Cour est insuffisant et ne permet pas de garantir que l’exécutif dispose d’assez de temps pour réformer la loi de manière adéquate.
Pour le ministre de la police, second accusé, l’argument principal vise les notifications de surveillance. Citant la Russie comme exemple, son avocat affirme que les notifications post et pré-surveillance nuisent au bon déroulement de l’opération et présente un risque sur le plan de la lutte contre la criminalité et de la sécurité nationale.
Media Monitoring Africa est un ami de la Cour
Selon son site internet, Media Monitoring Africa (MMA) est une « organisation qui met en œuvre des stratégies médiatiques réussies pour le changement » et agit comme un « chien de garde » des médias, principalement en Afrique. MMA prône la démocratie, le journalisme équitable et éthique, et le respect des droits de l’homme.
Concernant, l’affaire amaBunghane, le 11 février 2020, MMA a présenté sa demande à la cour en vertu du statut de premier amicus curiae. L’organisation a soulevé, dans son mémoire, cinq enjeux qui seront débattus en cour. Le premier est la validité de la décision prise par la Haute Cour du Gauteng du Nord. MMA soutient la décision de la cour quant à l’inconstitutionnalité de certaines clauses de RICA et s’aligne donc avec la plaidoirie d’amaBunghane. Le deuxième est l’absence, dans la législation, de dispositions protégeant les enfants et la société civile. Troisièmement, RICA est en violation de la section 28 [7] de la Constitution, également connue sous le nom de « principe de l’intérêt supérieur de l’enfant » (principle of the best interests of the child), et de divers accords internationaux dont l’Afrique du Sud est signataire. « Le principe de l’intérêt supérieur de l’enfant doit être lu conjointement avec le droit à la vie privée » [8]. Les enfants ont le droit à une vie privée et il est indispensable de prévoir dans la loi des mesures de protection garantissant ce droit aux mineurs.
La quatrième question est la protection des acteurs de la société civile, qui à l’instar des avocats et des journalistes, jouent un rôle essentiel sur la scène publique nationale et internationale. « Les acteurs de la société civile remplissent une fonction de surveillance publique similaire […] et devraient également bénéficier de mesures de protection adéquates pour être libres de communiquer des informations » [9]. La cinquième et dernière proposition, qui fait suite aux précédentes, est d’ajouter « un recours spécifique aux mineurs » (« child-sensitive remedy ») et d’étendre les instructions de la Haute Cour aux acteurs de la société civile [10].
En conclusion, au cours de la première audience, le 25 février, Michael Power, avocat d’intérêt public et représentant légal de MMA, a porté à l’attention du tribunal les questions évoquées ci-dessus. Il a souligné l’impact de RICA sur les droits des enfants et la manière dont la législation les enfreint. « La loi ne prévoit ni exception, ni protection contre une directive émise à l’encontre d’un mineur » [11]. M. Power a également évoqué le rôle essentiel que jouent les groupes de la société civile. Ils formulent des demandes et expriment des problèmes et des questions au niveau local, régional et international. Ils renforcent la transparence et s’engagent à défendre les droits de la population. Ils sont également sensibles aux questions de confidentialité et de privilèges. Les groupes de la société civile doivent donc être inclus dans les dispositions spécifiques que la Haute Cour a ordonné d’appliquer aux journalistes et aux avocats.
Ainsi, lors de la première audience, la Cour constitutionnelle a entendu et examiné les arguments de toutes les parties représentées. Les juges ont soulevé, à chacun des plaignants, plusieurs questions et préoccupations quant aux arguments avancés. Le processus n’est pas encore terminé et les parties devront revenir pour défendre leurs arguments respectifs. La prochaine audience aura lieu dans le courant de l’année 2020.
Références :
[1] Merriam-Webster dictionnary. En ligne : https://www.merriam-webster.com/dictionary/amicus%20curiae (25 février 2020).
[2] Britannica Dictionnary. En ligne : https://www.britannica.com/topic/amicus-curiae (25 février 2020).
[3] amaBhungane Centre for Investigative Journalism. Advocacy release : court to hear amaB’s RICA challenge. Online: https://amabhungane.org/stories/advocacy-release-concourt-to-hear-amabs-rica-challenge/ (25 février 2020).
[4]amaBunghane Centre for Investigative Journalism. About us. En ligne: https://amabhungane.org/about-us/ (25 février 2020).
[5] Constitutional Court of South Africa. amaBunghane Centre of Investigative Journalism NPC and Another v. Minister of Justice and Correctional Services and Others ; Minister of Police v. amaBunghane Centre for Investigative Journalism NPC and Others. CCT 278/19 – CCT 279/19. Hearing : 25th February 2020. Johannesburg, Gauteng, South Africa.
[6] Ibid.
[7] Media Monitoring Africa website. Our Impact. En ligne : https://mediamonitoringafrica.org/our-impact/ (26 février 2020).
[8] Media Monitoring Africa. Submission, amicus curiae : CCT 278/19 – CCT 279/19. En ligne : (26 février 2020) http://mediamonitoringafrica.org/wp-content/uploads/2020/02/PSIMM-202002-MMA-Written-Submissions-as-served.pdf
[9] Ibid.
[10] Media Monitoring Africa. Submission, amicus curiae : CCT 278/19 – CCT 279/19. En ligne : (26 février 2020) http://mediamonitoringafrica.org/wp-content/uploads/2020/02/PSIMM-202002-MMA-Written-Submissions-as-served.pdf
[11]Sidimba, Loyiso. Independent Online (IOL). En ligne : (23 février 2020), Johannesburg, Gauteng, South Africa https://www.iol.co.za/news/politics/rica-infringes-on-childrens-rights-says-mma-in-concourt-challenge-43271323