Dans le contexte de notre série dédiée aux nouvelles de nos partenaires, nous nous sommes entretenus le 11 septembre 2020 avec Abdirahman M. Ahmed, membre d’Alternatives depuis une vingtaine d’années et militant pour la liberté, la dignité, et les droits de la personne auprès de différents mouvements de la Corne de l’Afrique. Engagé avec notre partenaire local, le Mouvement des Patriotes Djiboutiens (MPD), Abdirahman nous a décrit l’impact de la pandémie au Djibouti et la manière dont l’État s’est servi de la crise sanitaire pour renforcer son appareil sécuritaire et répressif. D’un autre côté, la pandémie a mis en lumière l’incapacité du régime djiboutien et le besoin d’une réforme politique totale. Pour cela, la société civile au Djibouti, qui a émergé depuis quelques années seulement, continue de se mobiliser malgré les obstacles importants auxquels elle fait face.
PARTIE 1: CONTEXTE GÉNÉRAL ET PROBLÉMATIQUES DU PAYS
Alternatives: Quelle a été l’ampleur de la pandémie au Djibouti ?
Abdirahman M. Ahmed : Djibouti a été l’un des premiers pays touchés en Afrique, à cause de son importance stratégique et géopolitique. C’est un pays portuaire où il y a énormément de bases militaires étrangères. Le ministère de la Santé publie quotidiennement une mise à jour et les derniers chiffres parlent de plus de 65 000 cas sur une population de moins d’un million. On parle aussi d’un peu plus de 5000 morts. Ainsi, au prorata de sa population, on constate un taux d’infection et de décès assez élevé comparé à d’autres pays africains.
Le gouvernement a imposé une quarantaine forcée dans le pays vers la fin mars, qui a duré jusqu’à la fin juin. Actuellement, le confinement total a été levé, mais des mesures de distanciation et le port obligatoire du masque sont en place.
A : Est-ce que l’on juge que l’attitude du gouvernement djiboutien est satisfaisante vis-à-vis la COVID-19? Quelles lacunes du Djibouti et de son régime ont été révélées par la Covid-19 ?
AMA : Cette pandémie a démasqué la totale inefficacité du régime actuel à Djibouti, un régime incapable de penser à des mesures de filet social ou de penser aux populations les plus pauvres. Toute la gestion de la pandémie n’a été qu’une suite de faux pas. Quand le gouvernement a mis en place ce confinement obligatoire, ça s’inscrivait en conformité avec ce qui se faisait ailleurs dans le monde. Une fois passé l’élément de surprise de la pandémie, le régime avait la responsabilité de trouver des solutions pour essayer d’amoindrir les conséquences du confinement total. Du jour au lendemain, les gens ne pouvaient plus aller travailler. Beaucoup de gens ont perdu leur moyen de subsistance, même les gens qui travaillaient dans la fonction publique car leurs salaires ont été réduits. Que ce soit pour le secteur privé, pour la population, ou monsieur et madame Tout-le-monde, rien n’a été mis en place.
Ce qui est encore plus grave, c’est qu’un des mouvements qui avait commencé, de manière anodine, au moment du confinement, concernait simplement la réduction de la facture d’électricité parce que Djibouti est non seulement extrêmement chaud mais c’est aussi le pays le plus cher du continent africain. Soixante pour cent des revenus de chaque famille est utilisé pour payer la facture d’électricité. Seulement, la société de distribution d’électricité est aux mains du cousin de l’actuel président depuis 35 ans et la société de distribution d’eau est aussi aux mains de quelqu’un de la famille de l’actuel président. Ainsi, le régime a réagi d’une manière extrêmement violente à ces demandes car pour cette mafia familiale, cette pandémie n’a été qu’une autre manière de se remplir les poches et de renforcer son système de contrôle et de répression vis-à-vis la population. En outre, le régime a été plus préoccupé quant à son image au niveau international que de son peuple. Le régime de Djibouti veut non seulement bien paraître mais aussi répondre à l’image de victime, d’un petit pays pauvre, afin de recevoir beaucoup d’aide étrangère.
Un autre exemple qui illustre le niveau de corruption du régime, c’est le fait que le ministre de l’Éducation a imposé le port de l’uniforme scolaire à tous les enfants dans les écoles primaires, secondaires, et dans les lycées pour cette rentrée scolaire. C’est une nouvelle mesure qui a été introduite sous de faux prétextes. Le gouvernement turc a fait un don important pour les uniformes scolaires mais le ministre de l’Éducation a pris ce matériel et, avec sa famille, a créé sa propre société afin de vendre ces uniformes au coût de 50 dollars à chaque enfant. Vous imaginez des gens qui viennent de sortir pratiquement de cinq, six mois de confinement total, qui ont énormément perdu leurs revenus ? Certains ont perdu leurs proches et n’ont pratiquement plus rien à manger. Maintenant, le régime impose un uniforme scolaire comme si c’était la chose la plus importante en ce moment. Puisque c’est un don, pourquoi ne pas l’avoir mis à la disposition de la population? Pourquoi un matériel qui a été donné en don est transformé en entreprise et vendu aux populations les plus pauvres ?
A : Quel est le contexte géopolitique de Djibouti ?
AMA : Le régime actuel est au pouvoir maintenant depuis l’indépendance, il y a quarante-trois ans. Pendant 21 ans, le président est resté au pouvoir pratiquement jusqu’à sa mort et ensuite, il a été remplacé par son neveu. Il en est maintenant à son quatrième mandat et il se prépare pour un cinquième mandat. Ainsi, pendant quarante-trois ans, Djibouti n’a eu qu’une seule famille au pouvoir, un oncle et son neveu. Djibouti, c’est un tout petit pays francophone sur la Corne de l’Afrique, mais c’est aussi un pays stratégique qui contrôle l’accès à l’une des mers les plus importantes, le Bab el Mandeb, où passent plus de 20 000 bateaux. C’est un pays où, à cause de sa position stratégique, aujourd’hui, il y a énormément de luttes d’influence entre différentes puissances étrangères. Il y a des luttes impériales qui se déroulent entre l’impérialisme américain et le nouvel impérialisme chinois. Les deux ont des bases militaires importantes à Djibouti, parmi les bases militaires françaises, italiennes, japonaises, et autres. Pour cela, malgré sa petite taille et le fait que beaucoup de gens n’y prêtent pas attention, Djibouti est un pays où le destin de pays beaucoup plus importants dans la région est souvent décidé.
A : Quels sont les effets pervers, s’il y en a, des restrictions imposées sur la mobilité? Qu’en est-il de la surveillance et du contrôle de l’État ?
AMA : Djibouti a un appareil sécuritaire, militaire, et policier très développé et très répressif. Aujourd’hui s’ajoute à ça l’aide d’autres régimes assez répressifs comme la Chine ou l’Israël, qui ont aidé le régime de Djibouti à installer des caméras un peu partout dans la ville de Djibouti pour mieux ficher et mieux contrôler les populations. Ainsi, cette surveillance était déjà omniprésente et envahissante avant la pandémie, avant les contestations. Cependant, cette pandémie a été un cadeau du ciel pour le régime. Elle a été pour le régime mafieux de Djibouti une opportunité, sous couvert de répondre à la crise sanitaire, de renforcer son contrôle, que ce soit via les réseaux sociaux, le confinement total, la séparation des différentes régions, ou le contrôle des moyens de subsistance des gens. Voyant la société civile s’organiser pour dire non à un cinquième mandat, dénoncer la corruption et la répression, cette pandémie a permis au régime de reprendre en main le contrôle de la ville de Djibouti, mais aussi d’autres localités et régions, en imposant un confinement total, en imposant un couvre-feu, en limitant la mobilité, toutes ces mesures avec des moyens militaires assez impressionnants. Une image qui reste pour beaucoup de Djiboutiens, c’est d’avoir vu pour la première fois de leur vie des checkpoints dans la capitale qui ne permettaient même pas d’aller, par exemple, au centre-ville, dans le centre financier ou au marché.
En outre, si une personne, par exemple, est soupçonnée de ne pas être loyale au régime, on suspend automatiquement son salaire et on la licencie. Si une personne est physiquement à Djibouti et critique ouvertement le régime, on va l’arrêter. Les autorités vont soit l’attaquer en la privant de revenus, soit directement la capturer et l’emprisonner. C’est le cas de l’un des prisonniers politiques le plus célèbre, le lieutenant Fouad, un jeune pilote de l’armée de l’air. Il a pris une vidéo et s’est filmé en dénonçant le tribalisme qui a été érigé comme système de gouvernance au sein de l’armée, alors que l’armée est une institution laïque et républicaine. Depuis cinq mois, il est torturé et tabassé en prison parce que le général à la tête de l’armée est l’oncle du dictateur et qu’il lui veut du mal. Si le régime ne peut porter atteinte physiquement à une personne visée, alors c’est sa famille qui recevra des représailles. Par exemple, le père du secrétaire général du Mouvement des Patriotes Djiboutiens (MPD) est un homme assez âgé qui travaille comme taximan. Les forces répressives sont allées le chercher, l’ont emmené à l’extérieur de Djibouti ville et l’ont filmé alors qu’ils étaient en train de l’asperger d’essence et de le terroriser en lui disant qu’ils allaient le brûler. Ensuite, la vidéo a été envoyée à son fils. Tous les moyens sont bons pour faire peur..
A: Quelles sont les populations les plus vulnérables ou les plus affectées par le manque de services essentiels et non essentiels mais aussi par les mesures mises (ou pas mises) en place par le régime djiboutien ?
AMA : Dans sa majorité, la population djiboutienne a été extrêmement touchée par les mesures drastiques prises par le régime de Djibouti. Ce régime n’a même pas été capable d’organiser une distribution de nourriture ou d’autres solutions pour adoucir l’impact des mesures sanitaires. Ainsi, à un moment donné, les gens sont sortis manifester dans la rue parce qu’alors que la consigne officielle était de « restez chez vous », les autorités se déplaçaient comme si de rien n’était. Les gens sont sortis dans la rue en disant qu’ils préféraient plutôt mourir dehors plutôt que de mourir de faim dans leur maison.
Les populations les plus affectées sont celles qui ont été appauvries par 43 ans de régime dictatorial, ce qui signifie surtout les femmes et les enfants dans la banlieue de Balbala, zone la plus densément peuplée de la capitale. Les femmes ont été les plus affectées à Djibouti parce que, premièrement, ce sont surtout elles qui sont responsables des enfants et de toute la famille. Deuxièmement, le secteur d’activité le plus important, c’est le secteur informel qui est dominé par les femmes. Il y a un système ici qui s’appelle Sharshari où des femmes vont acheter des produits dans d’autres pays, comme en Éthiopie ou en Somalie, et les revendent au Djibouti à un petit profit. C’est un secteur important de l’économie, mais un secteur informel, ce qui signifie qu’il n’est pas organisé par l’État. Ainsi, au moment du confinement, toutes ces femmes ont perdu leur moyens de subsistance. Cependant, ce qui est impressionnant c’est que les personnes les plus mobilisées, les plus vocales contre le régime dictatorial de Djibouti, ce sont aussi ces femmes. Elles n’attendent rien du régime. Alors qu’elles sont les premières touchées, elles s’organisent du mieux qu’elles peuvent en mettant des systèmes de solidarité et de partage en place, ou ce qu’on appelle les tantines, pour ramasser de l’argent entre elles. D’un côté, effectivement, elles sont les premières victimes, de l’autre côté, elles font preuve d’une résilience admirable et incroyable.
Quant aux enfants, les écoles ont été fermées mais sont en train de rouvrir. Les cours n’ont pas été mis en ligne pendant le confinement mais ce n’est pas par faute de moyens. Djibouti est le pays d’Afrique qui a le plus grand nombre de lignes internationales de connexion Internet qui sont sous-marines. C’est aussi le pays qui redistribue tous les systèmes de télécommunications et d’Internet à travers la région. Ainsi, Djibouti est un hub à ce niveau mais il fait aussi partie des pays où le coût des communications téléphoniques et d’internet sont les plus chères. L’université de Djibouti a mis en place les cours en ligne mais les coûts exorbitants empêchent d’installer le système de télétravail, qui a été mis en place à travers le monde comme réponse au confinement.
PARTIE 2: CHANTIERS DE RÉFLEXION ET ALTERNATIVES
A : Quelle a été la réponse de la société civile, notamment des différents mouvements sociaux pour faire face aux différentes problématiques que traverse Djibouti ? Quelles sont les alternatives nées au niveau de la société civile à travers la pandémie pour répondre aux besoins de la population ?
AMA : Djibouti avait une société civile très développée et très dynamique avant l’arrivée de l’actuel dictateur en 1999. Il a immédiatement commencé à éliminer tous les éléments qui faisaient la force de cette société civile. Certains ont été assassinés, d’autres ont été mis en prison, d’autres ont été forcés en l’exil. Petit à petit, on a vu l’âme de cette société civile disparaître. Aujourd’hui, au Djibouti, il n’y a pas vraiment de société civile. Tous les syndicats et les associations très puissantes de femmes et de jeunes qui existaient dans les années 1990-2000 ont été éliminés. À la place, ce régime a créé des clones qui n’ont pas d’âme et qui sont là pour chanter les louanges du dictateur.
Malgré ça, je pense que depuis quelque temps, on assiste à la fin, ou à la brisure, de ce mur de la peur. Depuis environ trois ans, on voit apparaître de nouveaux mouvements, beaucoup plus enracinés dans leur localité, qui, avec des femmes, des jeunes, des cadres, des personnes plus âgées, apportent une analyse politique et une réelle capacité de mobilisation. C’est cela qui est encourageant. C’est cette nouvelle société civile, encore balbutiante, qui utilise les possibilités offertes par les réseaux sociaux et les nouvelles technologies de communication, qui, aujourd’hui, a repris le flambeau de la contestation pour dire basta vis-à-vis ce régime qui règne d’une manière mafieuse à Djibouti. Les gens commencent à parler ouvertement sachant qu’ils risquent de disparaître ou de se faire emprisonner. Ça ne les empêche pas de parler, de s’organiser, et de faire des manifestations, ce qui était impensable il y a encore quelques années. Il y a eu tout un travail de sensibilisation, d’éducation politique et populaire, qui s’est fait sur les réseaux sociaux (via YouTube, Facebook, WhatsApp, et d’autres moyens de communication). Ensuite, quand les gens sont descendus dans la rue et ont commencé à montrer que cette mafia à Djibouti n’était qu’un géant aux pieds d’argile, ça a été la panique au sein du régime. Leur réponse, comme d’habitude, a été la répression, notamment la criminalisation, par décret présidentiel, de toute opinion divergente sur les réseaux sociaux.
Ainsi, malgré tout, ce qui fait la force de Djibouti, c’est qu’étant donné que c’est un petit pays avec une population de moins d’un million, les gens se connaissent et il y a un esprit de solidarité assez fort. Donc oui, les gens se sont organisés eux-mêmes face à l’inaction du régime sous des formes aussi simples que la distribution de nourriture. Cependant, la population est extrêmement surveillée. Il faut montrer patte blanche. Pour pouvoir faire cette activité, il faut donner tout le crédit au régime, il faut dire que c’est grâce au dictateur de Djibouti et à sa première dame qu’aujourd’hui on a pu distribuer quelques sacs de riz. C’est la seule manière de pouvoir faire des activités à caractère social, environnemental ou humanitaire. On est obligé de jouer à ce jeu-là. Mais cela ne veut pas dire que les gens sont devenus serviles, c’est juste un autre moyen de survie. En parallèle, d’autres formes de résistance et de lutte s’organisent sous diverses formes cachées.
A : Comment le Mouvement des Patriotes Djiboutiens (MPD) envisagent-il l’après-COVID au Djibouti ? Quels changements espère votre organisation observer et/ou soutenir ?
AMA : De manière générale, au sein du Mouvement des Patriotes de Djibouti, notre lutte est basée sur des principes de transparence, de non-violence, d’ouverture et de solidarité, ainsi, nous travaillons avec différentes associations à Djibouti. En même temps, nous avons des liens de solidarité avec divers mouvements politiques, que ce soit des partis politiques qui sont en exil, qui sont clandestins à Djibouti, ou qui, malgré la répression, essaient de porter un peu le flambeau de la contestation à Djibouti. La résistance à Djibouti demande un changement. Ce ne sont pas les revendications d’un groupe particulier mais celles d’une coalition hétéroclite de différents groupes qui forment aujourd’hui la majorité et qui demandent un changement politique. Ces demandes restent les mêmes, avant et après la pandémie.
Cette pandémie, je le disais, a permis de démasquer encore plus la cruauté de ce régime mafieux. Par exemple, la Chine avait donné du matériel sous forme de don au regime djiboutien, mais après seulement quelques jours, la majorité de ce matériel, qui consistait en masques, gants, blouses de protection, appareils de respiration, et autres, s’est retrouvée sur le marché noir et a été vendue au pays voisins dont l’Éthiopie, le Yémen, et le Somaliland. Ainsi, cette pandémie a renforcé nos convictions qui étaient déjà solides, le fait que Djibouti a besoin d’une réforme totale de l’État, un changement absolu en termes de politique. Ce qu’il faut savoir, c’est que lorsque ce dictateur est arrivé, la plupart des institutions nationales du pays qui étaient de caractéristique républicaine ont été perverties. Aujourd’hui, à la tête des différentes instances nationales du pays, ce sont des membres de la famille du dictateur qui se retrouvent à la tête. Ainsi, c’est une réforme complète, c’est un changement complet de paradigme politique, dont on a besoin.
Ce qui fait malheureusement notre désavantage, c’est que Djibouti est un tout petit pays francophone au milieu de pays anglophones ou arabophones. Ainsi, nous aimerions faire savoir que la population lutte malgré les obstacles et la répression auxquels elle fait face. Nous espérons pouvoir compter sur la solidarité d’autres mouvements ailleurs dans le monde.
PARTIE 3: MISE À JOUR DU PARTENAIRE
A : Quelle est la situation du Mouvement des Patriotes Djiboutiens (MPD) actuellement en lien avec la COVID? Comment le fonctionnement de votre organisation a-t-il été affecté par la COVID au niveau notamment de votre mobilisation ?
AMA : En fait, avant même la pandémie, pour des questions d’efficacité et de sécurité, on utilisait énormément les moyens technologiques pour communiquer donc nous n’avons pas été affectés par la pandémie. D’une certaine manière, la pandémie nous a offert des opportunités. Par exemple, comme beaucoup de nos membres sont dans la diaspora, mais aussi sur le terrain, quand les gens étaient confinés, on avait beaucoup plus de temps pour parler de stratégie, pour entamer une réflexion en profondeur, pour sensibiliser et continuer l’éducation politique populaire, ainsi que pour continuer le contact avec les différentes forces politiques qui demandent des changements à Djibouti. Par contre, ce qui nous a affecté, c’est le fait que nos militants ne pouvaient plus continuer à se mobiliser sur le terrain même à cause du confinement total, du couvre-feu, et des checkpoints. Mais sinon, de manière générale, nous n’avons pas été affectés parce qu’on continue à utiliser les moyens technologiques.
A : Finalement, quels sont les projets actuels du Mouvement des Patriotes Djiboutiens (MPD)? Qu’envisagez-vous pour après la pandémie ?
AMA : Au sein du Mouvement des Patriotes Djiboutiens, en collaboration avec différents mouvements, nous avons commencé à monter des dossiers sur les crimes du régime djiboutien. Ces dossiers détaillent, notamment : la corruption en lien avec les biens mal acquis du régime en Europe et, de plus en plus, au Québec, l’effet déstabilisateur de ce régime mafieux sur toute la région à travers la distribution illégale d’armes, le soutien d’organisations terroristes, ou le fait que Djibouti sert de pays transit pour le trafic de drogue. Plus précisément, Djibouti continue de se présenter aux yeux de la communauté internationale comme un havre de paix mais c’est Djibouti qui est derrière la distribution illégale d’armes, que ce soit en Éthiopie, au Yémen, ou en Somalie, et qui fait que, pendant des décennies, des conflits ont continué de se propager. Très peu de gens savent que, par exemple, des groupes extrémistes comme Al-Shabab continue de recevoir de la protection, de l’argent, et des armes via les différents réseaux mafieux qui ont été mis en place par le régime de Djibouti. Beaucoup de leaders d’organisations terroristes dans la région voyagent avec le passeport de Djibouti. Nous avons des dossiers qui montrent que la plupart des financements de ces organisations passent par les systèmes financiers et bancaires établis et installés à Djibouti. De plus en plus, Djibouti est en train d’utiliser les infrastructures essentielles et stratégiques du pays pour le trafic de drogue, qu’elles viennent d’Asie ou d’Amérique latine. Djibouti est aujourd’hui un pays de transit pour ce trafic de drogue, ce qui continue d’enrichir la mafia au pouvoir. Ainsi, on a commencé à monter ces dossiers que l’on va bientôt présenter devant la Commission de l’Union européenne.
Ces dossiers montrent que certaines puissances étrangères préfèrent ce régime dictatorial et criminel à un système démocratique où les droits et la dignité de la personne seraient respectés. C’est pour cela que nous, nous allons continuer notre combat malgré tous les risques. On aimerait aussi établir des liens de solidarité entre, notamment, la Fédération des Femmes du Québec (FFQ) et les mouvements des femmes de Djibouti, les jeunes et les syndicalistes. Nous savons que les syndicats ont des sections internationales donc nous aimerions établir des contacts pour échanger des expériences et des conseils. Il y a déjà eu énormément de martyrs dans notre pays, donc il faut continuer en leur mémoire, mais aussi afin d’avoir de l’espoir dans l’avenir.
Nous allons continuer ce combat, mais maintenant nous aimerions que les gens prennent conscience de ce qui se passe à Djibouti et, au minimum, si les gens ne peuvent rien faire d’autre, demander à leur pays que leurs taxes ou leurs gouvernements ne soient pas complices du régime dictatorial de Djibouti. C’est le minimum qu’on demande. Si les gens peuvent faire plus que ça, nous sommes prêts et ça nous ferait plaisir de collaborer, de travailler à établir des solidarités beaucoup plus importantes avec tout mouvement qui se bat pour la dignité et les libertés civiles et humaines. À tous les niveaux, nous aurons aussi besoin de soutien de la part d’autres institutions internationales, de la part de tous ceux qui entendront ce message et qui pourront faire quelque chose pour aider le peuple de Djibouti. Toute forme d’aide est la bienvenue.
*Cette entrevue a été éditée pour des fins de publication.
Entrevue réalisée par Delphine Polidori, étudiante en dernière année à McGill en science politique, développement international et environnement, dans le cadre de son stage à Alternatives.