Chili : la COVID-19, révélatrice de la crise sociale et politique qui se poursuit

© Judith Marcela Rodriguez Lascano
Nous nous sommes entretenus, ce 31 août dernier, avec Judith Marcela Rodriguez Lascano, conseillère municipale de la commune de Cerro Navia à Santiago et bénévole de notre partenaire de longue date, le comité de Allegados Los Conquistadores au Chili. Cerro Navia est une commune très défavorisée située dans les zones périphériques du Grand Santiago qui comprend essentiellement des ouvriers et des vendeurs embauchés à l’extérieur de leur municipalité. En raison des mesures de restriction établies depuis quelques mois dans le pays, ainsi que du nombre important de commerces toujours fermés, une grande partie des habitants de Cerro Navia se retrouve licenciée et en manque de nourriture ou de services essentiels. Malgré tout, Judith nous fait le portrait d’une communauté mobilisée afin de maintenir la pression sur le gouvernement et faire ressortir la solidarité et l’humanité au sein de Cerro Navia.

PARTIE 1: CONTEXTE GÉNÉRAL ET PROBLÉMATIQUES DU PAYS

Alternatives: Quelle a été l’ampleur de la pandémie au Chili?

Judith Lascano: Aujourd’hui, il y a déjà 16 558 cas actifs au Chili. Chaque jour, 1 753 nouveaux cas de coronavirus sont signalés. Il y a 383 879 cas récupérés, 11 289 décès et 735 patients sous ventilation mécanique. À l’échelle nationale, 2 432 436 tests virologiques (PCR) de dépistage du coronavirus ont été effectués, dont 16.92% qui ont testé positif. Au début, pendant les premiers mois, de mars à juin, lorsqu’un test PCR étaient effectué, la personne était automatiquement mise en quarantaine, qu’elle présente ou non des symptômes. Les résultats de ces premiers tests étaient disponibles après un délai de près d’un mois. Certaines personnes ont transmis le coronavirus et d’autres sont mortes à l’hôpital sans avoir obtenu les résultats de leur test. Aujourd’hui, cela s’est «amélioré» car il faut environ quatre jours pour obtenir les résultats du PRC.

Au Chili, les cas de coronavirus ont commencé à apparaître au mois de mars mais le gouvernement a commencé à agir très tard. Les communes, le peuple, ont forcé le gouvernement à prendre des mesures sanitaires, comme la quarantaine, car les gens continuaient à circuler de façon normale au travail, dans les restaurants et dans les moyens de transport. Certains politiciens plus à gauche ont aussi commencé à dénoncer le fait que le gouvernement ne prenait pas de mesures sanitaires pour empêcher la propagation du coronavirus. Enfin, le gouvernement a décrété des mesures de confinement dans les communes des populations à haut revenus. Mais les travailleurs se rendaient toujours dans ces communes. Ainsi le coronavirus s’est répandu davantage dans la région métropolitaine, dans Santiago, et de là, il a atteint l’ensemble du pays. Aujourd’hui, le Chili est toujours en confinement. Pas plus de 50 personnes peuvent se réunir dans un espace ouvert et pas plus de 5 personnes peuvent se réunir dans un espace fermé. Il y a un petit pourcentage des communes de la région métropolitaine qui entrent en phase 1 ou phase 2 de déconfinement, ce qui n’est même pas un déconfinement total. Par exemple, la commune de Santiago est en phase 1, où les petits centres commerciaux ouvrent mais les restaurants ne sont toujours pas ouverts au public, seulement pour livrer ou à emporter.

A: Quels sont les principaux problèmes politiques, économiques et sociaux auxquels le Chili fait face? Est-ce que le gouvernement est jugé comme ayant eu un comportement satisfaisant vis-à-vis la Covid-19?

JL: Au Chili, nous avons un gouvernement de droite, un gouvernement qui favorise le bien-être d’une minorité, d’une classe riche, au mépris des besoins d’une grande majorité. Et en temps de pandémie, cela n’a pas changé. Le gouvernement a une vision très partiale de la manière d’aborder la question de la pandémie au Chili. Il est dans l’intérêt du gouvernement que l’économie soit activée rapidement, même si cela signifie la propagation du coronavirus et des morts qui vont s’ensuivre. De plus, les politiques du gouvernement actuel ont été tardives et ne reflètent pas le besoin urgent de notre population. Tout ce qui a été réalisé pour activer les politiques sociales est dû à la mobilisation de la population, qui a forcé le gouvernement à agir.

Le gouvernement n’a pas subventionné de manière équitable, sur le plan économique, toutes les personnes vulnérables. La seule chose que le gouvernement a fait entre mars et août, c’est de livrer deux boîtes de marchandises, mais pas à toutes les personnes, seulement à celles qu’il considère comme les plus vulnérables parmi les plus vulnérables. Il dispose de certains indicateurs, comme le registre social des foyers mais ce registre n’avait pas été mis à jour. Il y avait des personnes qui faisaient partie des 90 % des plus vulnérables au Chili mais en raison de la pandémie, elles ont été laissées de côté car l’État considère comme pauvre une personne qui fait partie des 40 % des plus vulnérables au registre social des foyers. De plus, dans un foyer où six familles peuvent vivre, l’État a considéré que ce foyer se qualifiait pour une boîte de provisions seulement pour ces six familles.

A: Quels sont les effets pervers, s’il y en a, des restrictions imposées sur la mobilité? Qu’en est-il de la surveillance et du contrôle de l’État?

JL: En termes de mesures sanitaires, personne ne peut marcher dans la rue sans masque. Il nous est toujours interdit de sortir après onze heures du soir car il y a un couvre-feu. Il y a un État militaire, comme s’il s’agissait d’une dictature. Par exemple, aujourd’hui, j’ai dû me rendre à la commune de Santiago et j’ai dû obtenir une autorisation, un permis provisoire pour trois heures. Ma commune est en confinement mais Santiago est en phase de déconfinement donc si j’y vais, je dois demander la permission. De plus, si je veux aller dans une autre ville, je dois me justifier. Je peux y aller tant que c’est un besoin urgent, pour aller voir un parent gravement malade ou si j’ai un contrôle médical dans une autre ville. Mais si je veux juste rendre visite à un parent, je n’ai pas le droit. Nous sommes dans un état de siège où les militaires et la police assurent la sécurité dans les rues.

Notre liberté est limitée parce que la pandémie et les accords internationaux l’exigent, mais aussi parce que le Chili a de grands problèmes sur le plan social et politique. Le gouvernement exerce un contrôle sur la population, surtout dans le sud du Chili, sur les terres des Mapuches. Là, ils ont profité de cet état de siège pour réprimer beaucoup plus le peuple Mapuche. Je reviens d’une manifestation de soutien à certains jeunes qui sont en prison depuis presque huit mois parce qu’en octobre nous avons eu un réveil social, une mouvement national, et environ 300 jeunes ont été emprisonnés et accusés de choses qu’ils n’ont pas faites. Aujourd’hui, la crise sanitaire a servi à l’État pour réprimer davantage toute personne qui se rebelle contre une injustice sociale, avec comme justification la pandémie. Les militaires frappent plus, ils prennent plus, ils répriment beaucoup plus. Cette pandémie a servi à approfondir cette violence et cet abus de pouvoir constant.

A: Quelles sont les populations les plus vulnérables ou les plus affectées par le manque de services essentiels et non-essentiels mais aussi par les mesures mises (ou pas mises) en place par le gouvernement?

JL: Malheureusement, le gouvernement chilien ne défend pas les valeurs humaines, le droit à la vie. La pandémie a commencé par les secteurs les plus riches mais la plupart des 11 289 personnes mortes sont de la classe ouvrière, sont les plus vulnérables, les plus pauvres du pays. Cette situation se poursuit car il y a également une pénurie de chambres d’hospitalisation, de tests, de résultats en temps utile, et de médicaments. Ici, la grande majorité du pays est pauvre et doit subsister en travaillant, en cherchant une source d’emploi. Ainsi, même si la commune est mise en quarantaine, les gens sont quand même sortis pour travailler ou trouver du travail.

À part cela, une série d’autres maladies sont apparues que plus personne ne traite car le Ministre de la Santé est seulement concerné par le coronavirus. Et qu’en est-il des malades chroniques ? Qu’en est-il des personnes atteintes de dépression, de cancer ? Tous ces gens sont négligés et ils souffrent de l’absence de politiques sociales et sanitaires claires. D’autre part, nous, les femmes, avons dénoncé la violence à l’égard des femmes car il n’existe aucune institution où les femmes peuvent aller se réfugier. Si aujourd’hui je suis confinée avec celui qui me viole, avec celui qui me bat, où vais-je aller ? Il y a très peu de refuges, alors beaucoup de femmes se retrouvent dans une situation où elles vivent avec leur propre ennemi. Malheureusement, pendant le confinement, les féminicides et la violence domestique ont augmenté.

En ce qui concerne l’éducation, le Ministère chilien de l’Éducation est en train de créer un plan de retour aux classes. Cependant, l’école n’empêchera pas les enfants d’être infectés car nos écoles sont encore très précaires, même en termes d’infrastructures. D’une part, il y a la communauté, les parents, qui ont fait campagne pour ne pas retourner en classe pendant la pandémie, et d’autre part, il y a le gouvernement, qui n’accepte pas de valider les années scolaires étant donné que les cours ont été donnés à distance. Le problème c’est que beaucoup de nos enfants n’ont pas d’ordinateur, ni d’Internet, ni de téléphone portable pour suivre les cours en ligne. Le Ministère de l’Éducation n’a même pas voulu acheter un ordinateur ou une tablette à nos enfants, bien qu’il ait de l’argent pour fournir cette technologie afin qu’ils restent à la maison. Ceci est nécessaire, au moins en temps de pandémie, et même à l’avenir, car nous allons devoir continuer à travailler en ligne.

PARTIE 2: CHANTIERS DE RÉFLEXION ET ALTERNATIVES

A: Quelles lacunes du Chili et de son gouvernement ont été révélées par la Covid-19?

JL: Cette pandémie a reflété l’iniquité et l’inégalité qui existent dans la loi et les a approfondies. La plupart des décès consistent en travailleurs de classes populaires et malades chroniques. Il y a une pénurie de nourriture, un taux de chômage élevé, et une absence de politique gouvernementale pour aider à faire face à cette crise sanitaire. Les hôpitaux publics ont également commencé à protester parce qu’ils n’avaient pas assez de ressources pour traiter les personnes atteintes de la COVID-19. Les services de santé publique disposent malheureusement d’un budget limité et ont aussi beaucoup souffert. À cet égard, la pandémie a reflété l’injustice sociale constante qui existe au Chili, mais le gouvernement, même sciemment, n’a pas généré d’aide. Cette responsabilité est donc tombée sur les gouvernements locaux, les municipalités, qui ont également un manque de ressources et de professionnels. Nous allons sortir de la pandémie extrêmement stressés, extrêmement impuissants, avec du chômage, des problèmes émotionnels et économiques, et surendettés parce que plus d’une personne a eu recours au crédit pour pouvoir faire des achats ou bien le paiement de leurs dettes.

Mais nous allons aussi sortir de la pandémie avec une plus grande humanité parce que ce qui avait été perdu a émergé de nouveau ici: une solidarité entre les gens. Tout ce que nous ne trouvons pas dans le gouvernement et ses politiques. Si aujourd’hui je manque de quelque chose, je sais que je ne vais pas mourir de faim parce que mon voisin, ma famille, va m’aider. Des formes de troc ont réémergé. En général, notre peuple veut aider. Pendant la pandémie, il a activé ces belles choses qui caractérisent les êtres humains, à savoir la fraternité, la solidarité et la gentillesse.

A: Quelle a été la réponse de la société civile, notamment des différents mouvements sociaux pour faire face aux différentes problématiques que traverse le Chili? Quelles sont les alternatives nées au niveau de la société civile à travers la pandémie pour répondre aux besoins de la population?

JL: Il est arrivé un moment pendant la pandémie où je suis devenue désespérée parce que je ne trouvais pas de moyen d’aider. J’ai donc commencé à créer des réseaux d’amis et à voir avec la municipalité comment acheter des marchandises pour les gens, aider les gens qui étaient en train d’être expulsés à payer leur loyer. Nous nous sommes mobilisés pour rendre visible la pénurie de nourriture parmi la population. Notre communauté a commencé à préparer des marmites communes où les voisins se rassemblent pour cuisiner et distribuer bénévolement de la nourriture gratuite tous les jours à un secteur de la communauté qui manque de nourriture. Ainsi, dans ma commune de 135 000 habitants, il y en a plus de soixante-dix. Il y a aussi ceux qui achètent ensemble en gros et qui distribuent à parts égales cette nourriture à ceux qui contribuent à un pourcentage de la note. Et cela aide à réduire les coûts et à nourrir la commune. Les peñas virtuelles sont aussi apparues. La peña est comme un concert musical au profit des marmites communes. Plusieurs artistes se réunissent et demandent des dons pour les marmites communes. Sinon les gens prennent soin aussi de leur voisins qui ont le coronavirus, par exemple, et qui ne peuvent pas sortir pour faire leur courses. Les voisins se réunissent donc, vont acheter leur nourriture et la laissent devant leur maison, dans un endroit où ils peuvent la prendre. Enfin, de nombreuses collectes de vêtements ont également eu lieu.

Aujourd’hui, tous les services de l’État sont offerts via Internet. Mais ce n’est pas tout le monde qui maîtrise la technologie. Donc nous, nous aidons des gens à accéder à Internet. Par exemple, nous avons lancé une campagne de sensibilisation afin que le gouvernement puisse enfin mettre en place une loi pour empêcher l’entreprise Enel de couper l’électricité et l’eau. Il y a beaucoup de gens qui n’ont pas les moyens de payer ces services de base qui sont essentiels. Le gouvernement a décrété que l’électricité et l’eau ne seraient pas coupées en période de pandémie. Cependant, afin d’éviter les coupures de services , la demande doit être faite en ligne. Dans tout le pays, il y a seulement 1600 personnes qui ont réussi à faire cette demande alors que la grande majorité ne peut pas payer l’électricité. Aujourd’hui, pour être connecté et accéder à différents services, il faut un ordinateur ou il faut un téléphone portable avec Internet. Dans notre commune, beaucoup de gens essaient d’aider et d’enseigner l’informatique aux autres, de façon bénévole.

J’insiste sur le fait que si le peuple, notre peuple, ne demande pas, rien n’est donné, aucun avantage social. Et cette commune, même si elle a besoin de tout, génère de grandes campagnes de solidarité.

A: Comment votre comité de Allegados Los Conquistadores et les gens de la commune de Cerro Navia envisagent-ils l’après-COVID au Chili? Quels changements espèrent-ils observer et/ou soutenir?

JL: Le 25 octobre, nous avons un plébiscite où nous devons démontrer par un vote si nous voulons une nouvelle Constitution. Et si nous le voulons, de deux façons, avec une convention mixte ou avec une assemblée constituante. La seconde a une plus grande représentation du peuple, des gens ordinaires, et non des politiciens. Cette nouvelle Constitution serait la base pour générer de nouveaux droits, des droits qui auraient toujours dû exister pour la grande majorité. Cependant, il y a un secteur minoritaire, doté d’un grand pouvoir économique, politique et religieux, qui ne veut pas d’une nouvelle Constitution, ou du moins, pas avec la participation réelle de tous. Ce secteur alimente un discours de peur et la pandémie les aide en ce sens. Tant qu’il y aura plus de chômage, plus d’instabilité économique, et que les médias répandront cette peur, il est possible que la nouvelle Constitution ne soit pas représentative des voix du peuple car il ne pourra pas s’exprimer librement.

Mais je pense qu’il va y avoir une nouvelle Constitution car le réveil de l’année dernière n’est pas terminé. Nous nous sommes réveillés pour ne pas nous rendormir. Il y a une menace sérieuse de la part des mêmes personnes qui ont exercé la dictature militaire, de persécuter tous ceux qui continuent à promouvoir une nouvelle Constitution et des droits pour notre peuple. Je ne vois donc pas qu’après la pandémie les choses se calment au Chili, ni au plan économique en ce qui a trait aux conditions d’emploi ou de meilleurs salaires. Nous avons de l’espoir dans ce processus du 25 octobre. Ensuite, en avril, il y aura les élections municipales, puis nous devrons préparer les élections présidentielles. Nous ne voulons pas de ce gouvernement de Piñera parce que nous savons qu’il s’agit d’un gouvernement de nature néolibérale. Nous savons ce que cela signifie d’avoir un président comme Piñera qui continue, sciemment, à défendre les intérêts des riches.

PARTIE 3: MISE À JOUR DU PARTENAIRE

A: Quelle a été l’impact de la pandémie sur la commune de Cerro Navia? Quelle est la situation actuelle au niveau de la crise sanitaire?

JL: Dans ma commune de Cerro Navia, en date du 24 août, il y avait 6776 cas actifs et 257 personnes décédées du coronavirus. Le port du masque est obligatoire et la municipalité a réussi à en donner à un certain pourcentage. Au début, les masques se faisaient très rares dans les magasins donc les gens ont commencé à les fabriquer eux-mêmes. Les gens ont pris l’habitude de laver constamment leurs vêtements, de se laver aussi quand ils sont très exposés, d’essayer de garder la distance physique. Ici, la plupart des gens se soucient plus de la pénurie de nourriture que de la propagation du coronavirus. La grande majorité des gens ne se sentait pas pauvres dans Cerro Navia mais avec la pandémie, nous avons découvert que nous sommes pauvres car nous avons eu recours aux marmites communes, par exemple. D’autres se sont retrouvés au chômage et n’avaient pas assez d’argent pour payer leur loyer, l’électricité, l’eau, ou leur médicaments. En tant que conseillère municipale, j’ai dû faire beaucoup de choses pour apporter des ressources aux gens. Il y a beaucoup de personnes vulnérables qui sont tombées malades, des personnes âgées qui ont été abandonnées dans leurs maisons aussi. D’autre part, cette chose dont je vous ai parlé est apparue, la solidarité, l’amour, la fraternité. Au sein du comité de Allegados Los Conquistadores, Dieu merci, personne n’est atteint du coronavirus car chacun prend soin de lui-même et de ses voisins.

Les gens ont commencé à fabriquer des choses avec leurs mains pour les vendre parce que lorsqu’ils ont été licenciés, ils se sont retrouvés sans activité et ils ont découvert qu’ils savaient fabriquer des meubles ou tricoter. Les réseaux d’entrepreneurs locaux ont émergé, ce qui signifie que la production locale, qui était en perdition car nous achetions tout dans les centres commerciaux, est réapparue. Aujourd’hui les gens apprécient les choses qui sont faites avec les mains et nous encourageons l’achat auprès des gens. C’est une petite chose mais les gens ont repris confiance en eux-mêmes et leur commune. Pour cela, je pense que ce que nous avons retrouvé, nous ne pouvons pas le perdre à nouveau après la pandémie. Je pense que nous devons maintenir ces nouvelles pratiques, ces nouvelles habitudes, auprès de nos voisins, de notre famille, de nos enfants. Nos enfants doivent grandir en voyant que tout n’est pas jetable, que nous devons valoriser les choses parce que nous les avons faites nous-mêmes, parce que nous les partageons avec amour.

A: Finalement, quels sont les projets actuels de votre commune et votre comité? Qu’envisagez vous pour après la pandémie?

JL: Il y a quatre ans, avec Alternatives, nous avons généré une politique environnementale dans la commune de Cerro Navia, où il n’y avait ni engagement écologique, ni alimentation saine. Nous avons réussi à installer des potager urbains qui nous ont donné la possibilité de revenir à nos racines dans le domaine agricole, car il y a 50 ans, ces terres étaient toutes des terres agricoles. On avait oublié comment planter notre propre nourriture. Nous nous sommes habitués à tout acheter. Cependant, la pandémie et la pénurie de nourriture nous ont poussé à changer nos habitudes.

Ce projet de jardin urbain a généré en chaque personne dans ma commune une conscience écologique et d’alimentation saine. Aujourd’hui, les gens de ma communauté s’occupent du jardin, ils s’inquiètent de savoir si les colibris et les abeilles vont bien, que les enfants ne détruisent pas les arbres, des choses si simples. Ils offrent des plantes et encouragent d’autres communautés à créer des jardins urbains. Chacun contribue à ce beau projet et le maire a décidé de le reproduire avec l’équipe environnementale, en générant des ateliers pour le jardinage sain, le compostage, le recyclage. Je pense qu’il faut continuer à faire grandir cette conscience écologique. On ne peut pas la perdre une fois la pandémie passée car il ne faut pas cesser de valoriser tout ce qui est naturel. À cet égard, une municipalité avec un maire engagé ne suffit pas: il faut aussi l’école, les cliniques, les ONG, les politiciens. Nous sommes un tout. Nous devons nous unir dans ces politiques écologiques parce que si nous continuons à travailler chacun de notre côté, nous n’allons pas beaucoup avancer.

Nous nous préparons également à ce que les marmites communes continuent afin que les gens touchés par le chômage et la pénurie de nourriture, même après la pandémie, puissent se nourrir en toute confiance. Une chose est sûre : notre communauté veut rester organisée. Nous voulons continuer à acquérir des connaissances, à contribuer à améliorer ce monde. J’ai le sentiment que notre communauté s’est engagée beaucoup plus dans la lutte, dans le logement, dans la santé, dans l’environnement, dans l’alimentation. Les gens ont délaissé la télévision et ont commencé à se poser des questions sur la vie. Aujourd’hui, ils veulent construire une nouvelle vie dont ils sont le protagoniste.

*Cette entrevue a été traduite de l’espagnol et éditée pour des fins de publication.

Entrevue réalisée par Delphine Polidori, étudiante en dernière année à McGill en science politique, développement international et environnement, dans le cadre de son stage à Alternatives.